Le parquet de Paris a ouvert une enquête, vendredi 5 janvier, après la publication d’un article de Mediapart accusant la direction du renseignement parisien (DRPP) d’avoir cherché à étouffer un raté sur l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, en juillet 2016. Le site affirme que le service a négligé des messages inquiétants d’un de ses auteurs, cinq jours avant l’attaque, et d’avoir ensuite antidaté des documents pour se couvrir.

L’enquête a été ouverte pour « faux », « usage de faux » et « altération de documents » à la suite d’une plainte déposée par l’avocat de deux victimes de l’attentat, MMehana Mouhou, a précisé au Monde une source judiciaire. Les investigations ont été confiées à l’inspection générale de la police nationale (IGPN).

Selon l’enquête publiée jeudi par Mediapart, un policier de la DRPP a rédigé une note faisant état de messages alarmants d’un des deux futurs auteurs de l’attentat, Adel Kermiche. Le jeune homme aurait évoqué sur une chaîne Telegram ses tentatives de départ pour la Syrie, une « attaque dans une église » et mentionné Saint-Etienne-du-Rouvray dès le 21 juillet, soit cinq jours avant l’assassinat du père Hamel, égorgé le 26.

Le brigadier aurait alors averti sa hiérarchie, notamment pour permettre de déterminer l’état civil de l’auteur des messages. Mais sa note, datée du 22 juillet, n’arrivera jamais jusqu’aux bureaux de la direction générale de la sécurité intérieure. Une fois le prêtre assassiné, « la DRPP a alors postdaté deux documents afin de masquer sa passivité », accuse Mediapart, dont l’enquête s’appuie sur les déclarations de plusieurs policiers de la DRPP sous couvert d’anonymat.

Démenti de la préfecture

Ces accusations ont été rejetées vendredi par la Préfecture de police de Paris (PP). Si les autorités reconnaissent l’existence d’une note rédigée quatre jours avant l’attentat, elles assurent qu’elle « ne comportait pas de caractère d’urgence » et qu’elle « a suivi le circuit habituel de validation », assure la PP dans un communiqué.

La préfecture de police affirme surtout que cette note n’était pas aussi précise que le dit Mediapart : elle « identifie un individu qui donne des cours à la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui appelle, sur les réseaux sociaux, “les fidèles” à le rejoindre dans le but de former un groupe à vocation terroriste. (…) En aucun cas, cette note n’évoque l’imminence d’un passage à l’acte, et encore moins le ciblage d’un lieu précis ».

Sitôt l’attentat perpétré, précise la PP, le policier qui avait rédigé cette note a immédiatement fait le lien avec l’individu qu’il avait identifié. La DRPP aurait alors informé oralement les services enquêteurs et rédigé une nouvelle note, datée celle-ci du 26 juillet. « Les deux documents originaux, enregistrés et traçables dans les serveurs de la DRPP, sont à disposition de toutes les autorités administratives et judiciaires qui ont ou auront le besoin d’en connaître », précise le communiqué.

« Des questions se posent à nouveau : qui savait quoi ? Cet attentat aurait-il pu être évité ? »

Le Syndicat des commissaires de la police nationale a pris la défense des policiers incriminés, vendredi, en s’attaquant aux « sources » de Mediapart, sans pour autant se prononcer sur le fond des accusations. « Cet article, manifestement écrit avec le concours d’une source dont on peut questionner les intérêts et la déontologie, constitue à l’évidence une mise en danger de plusieurs chefs de service, mais également une compromission du secret de la défense nationale », estime dans un communiqué le syndicat, qui appelle la PP à « identifier le ou les auteurs de ces fuites ».

Pour l’archevêque de Rouen Dominique Lebrun, interrogé par l’AFP, les accusations du site réveillent « une douleur qui commençait doucement à s’apaiser ». « Des questions se posent à nouveau : qui savait quoi ? Cet attentat aurait-il pu être évité ? », s’interroge Mgr Lebrun, qui ne « doute pas que les juges et les responsables de l’Etat tireront toutes les conclusions » des documents mis à disposition par la préfecture.