Fondatrice en 2017 de la revue « Something We Africans Got », Anna-Alix Koffi est née en Côte d’Ivoire et a grandi en France. / Joana Choumali

Née en Côte d’Ivoire et élevée en France, Anna-Alix Koffi a lancé en 2017 Something We Africans Got, une magnifique revue trimestrielle consacrée à l’art contemporain et à la pensée critique en Afrique. Le troisième numéro, qui abordera notamment les liens culturels entre le continent et l’Allemagne et comprendra un focus sur le Mali, sera lancé le 9 janvier à l’espace culturel La Colonie, à Paris. Elle répond à nos questions.

Le titre de votre revue exprime un sentiment de fierté mais sonne aussi comme une provocation…

Anna Alix Koffi Le titre ne laisse pas indifférent, mais je ne suis pas dans la provocation. J’ai d’ailleurs mis en couverture du premier numéro Nelson Mandela, la figure de l’Africain « triple A », celui qu’on rêve tous d’être. On cherche tous le prochain Mandela, quelqu’un qui œuvrerait pour le bien-être de ses concitoyens, l’antithèse des schémas qu’on voit en Afrique… Bref, je n’ai pas voulu faire peur. Comme Ivoirienne, je ne revendique rien, je veux partager des richesses insoupçonnées, les diffuser au maximum.

L’idée n’est pas d’enfermer la scène africaine, mais de montrer les liens culturels existant entre l’Afrique et le monde, de replacer le continent au centre de l’Histoire, en reliant chaque pays africain traité à un pays d’un autre continent, avec un seul mot d’ordre : qu’il n’y ait pas eu de lien colonial entre les deux.

En raccourci, le titre peut faire penser à « swag », qui signifie en anglais être stylé ou cool…

Ce n’est pas « swag ». Quand on parle de l’Afrique, on pense soit en termes de catastrophe, du style « Oh mon Dieu, ces gens sont dans une grande détresse ! », soit au contraire sur le mode extra swag : « Oh ils savent bien danser, ils sont trop classe. » Mais entre ces deux extrêmes, il y a des penseurs, des artistes.

En 2017, quelques artistes et commissaires d’exposition africains-américains ont appelé à la destruction de l’œuvre d’une artiste blanche américaine qui reprenait l’image d’un adolescent noir tué dans les années 1950. Un « camp d’été décolonial » interdit aux Blancs a aussi suscité une controverse en France. Comment vous situez-vous par rapport à ces positions radicales ?

Je suis contre les interdictions intercommunautaires mais, honnêtement, je ne tranche pas car tout est encore à fleur de peau. Ceux qui ne connaissent pas l’Histoire ne prennent pas en compte le passif. Il n’y a pas eu de demande de pardon. Il faut comprendre que faire une affiche pour un festival de photo avec comme sous-titre « I love Africa » et un imprimé zèbre [comme celui de La Gacilly pour son édition 2017], ça peut faire mal.

« Je ne cherche pas à régler des comptes mais à inviter les gens à une grande table de discussion »

Je n’ai pas grandi en Côte d’Ivoire mais en France. Je me suis forgée dans la République. Je suis une « bonne négresse » qui rassure, bien élevée, qui parle sans accent. Je n’ai pas de ressentiment, mais je le comprends. Pour autant, je pense qu’il faut faire passer les messages en douceur plutôt qu’en force. La posture de guerre me semble inutile. Je ne cherche pas à régler des comptes mais à inviter les gens à une grande table de discussion.

Votre principe de focus sur un pays est-il un clin d’œil à la « Revue noire » ?

Nous sommes une toute petite sœur de la Revue noire et je suis honorée de la comparaison. Jean Loup Pivin et Simon Njami nous ont montré la voie.

Quelle est votre méthodologie lorsque vous traitez d’une scène spécifique ?

Je cherche plusieurs sons de cloche, j’évite les systèmes de chapelle, je ne veux pas être exhaustive. Je mélange de vrais essais et des articles plus faciles d’accès, car il faut différentes portes d’entrée.

En couverture du premier numéro de la revue « Something We Africans Got » : Nelson Mandela, « l’Africain “triple A”, celui qu’on rêve tous d’être », explique sa créatrice Anna-Alix Koffi.

Comment la revue est-elle financée ?

C’est la partie acrobatique du boulot. La revue est totalement indépendante, il n’y a pas de groupe derrière moi. J’ai un actionnaire qui possède 5 % de la société. La publication se finance par la publicité, le mécénat. J’avais eu une fois un soutien de Sindika Dokolo pour un numéro d’Off the Wall [revue trimestrielle de photographie publiée de 2012 à 2016].

J’ai une équipe fabuleuse, qui ne compte pas ses heures. Bien sûr, je ne peux pas me permettre certains voyages. On fait des entretiens par mail ou par téléphone [depuis Paris]. On ne peut pas avoir de grandes signatures mais on a des universitaires qui veulent soutenir le projet et pour lesquels cela peut devenir une promotion personnelle. Malgré tout, je reste très exigeante. Je ne vois pas pourquoi je ferais une maquette moins belle parce que je parle d’Afrique.

Imaginez-vous une diffusion en Afrique ?

Pour l’instant, nous sommes diffusés à la Fondation Donwahi pour l’art contemporain, à Abidjan. J’aimerais donner des numéros aux lycées et universités en Afrique, et en France dans les zones d’éducation prioritaire. Je veux montrer que les portes ne sont pas fermées, qu’il faut certes mettre un pied en travers pour qu’elles s’ouvrent mais qu’il y a d’autres manières d’agir que la revendication.

« Il est plus facile de galvaniser avec des messages haineux qu’avec un magazine aux textes pointus, mais j’y crois »

Je ne suis pas naïve : ce n’est pas mon magazine qui va éviter une bavure policière. Mais il peut montrer aux descendants de la diaspora africaine qu’ils ont une culture riche, que l’art n’est pas que pour les blonds aux yeux bleus. J’aimerais que ça suscite des vocations. Bien sûr, il est plus facile de galvaniser les foules avec des messages haineux qu’avec un magazine aux textes pointus. C’est plus lent, mais j’y crois.

Au printemps 2017, les institutions françaises ont vécu au rythme de l’Afrique. Est-ce une mode passagère ou une lame de fond ?

Je pense que ça y est, c’est lancé et cela va se normaliser, même si les choses ne vont pas changer du jour au lendemain. Peut-être qu’un jour il n’y aura plus de foire consacrée à l’art du continent africain parce que ces artistes seront exposés dans toutes les autres foires. Tant mieux si un jour on n’a plus besoin de ma revue. Ce sera le signe que les choses auront avancé.