Documentaire sur Arte à 23 h 35

La rediffusion, en première partie de soirée, d’Out of Africa, de Sydney Pollack, classique sublimé par les compositions de Meryl Streep et Robert Redford, poussera peut-être les plus jeunes téléspectateurs à se plonger dans La Ferme africaine (1937), le roman de Karen Blixen dont s’empara, avec succès, le cinéaste américain.

Reste que pour approcher l’œuvre de « la Shéhérazade ­danoise »,qui ensorcela Carson McCullers et Ernest Hemingway, on ne saurait trop conseiller la ­lecture des Sept Contes gothiques (1934). Ou encore, ainsi que le ­recommande Judith Thurman, sa biographe, les Contes d’hiver (1942), « livre très ombrageux et froid par ses paysages ».

Echappée belle en Afrique

Même si les premières minutes du documentaire qu’Elisabeth Kapnist consacre à l’écrivaine s’offrent comme un prolongement au film de Sydney Pollack – dont il ­emprunte certaines scènes –, très vite, celui-ci se pare, par ses ­reconstitutions oniriques, des atours du conte fantastique.

Out of Africa - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31

A l’égal de l’existence de l’auteure, marquée, dès le plus jeune âge, par un drame : le suicide de son père adoré. Esthète et aventurier, épris de liberté, il sensibilise sa fille, dans le beau domaine de Rungstedlung, près de Copenhague, aux beautés de la nature. Il lui fait entrevoir ses richesses et ses mystères, la pousse à cultiver son imaginaire et sa différence. Toutes choses auxquelles la fillette ­demeurera fidèle, en dépit d’une mère prude et d’un milieu familial bourgeois, rigoriste, qui l’étouffe.

Si la lecture, l’écriture et la peinture s’offrent déjà comme un ­refuge, l’Afrique, cet « Eden rêvé par son père », selon Elisabeth Kapnist, se présente en 1913 comme une échappée belle et amoureuse pour la jeune femme, qui croit en son destin. Invitée par son cousin et futur époux à exploiter une ferme au Kenya, la romancière voit cette aventure africaine qui s’ouvre à elle lui faire endosser tous les ­rôles : celui de baronne Blixen, après son mariage avec Bror, qui lui transmet la syphilis dont elle souffrira toute sa vie ; d’administratrice de Ngong et de sa plantation de café ; de médecin et protectrice des familles kikuyu et massaï qui travaillent pour elle. Mais aussi celui de Diane chasseresse dans la savane ou d’amoureuse passionnée auprès de son amant, l’aventurier nomade Denys Finch Hatton.

Dans ce « vaste univers de poésie », où elle s’initie à la beauté et à la sagesse africaines, Karen Blixen tente de surmonter les coups du sort : la sécheresse, le gel, les invasions de sauterelles, auxquels s’ajoute le krach de 1929. Après la vente aux enchères de sa ferme, qu’elle assortit de la restitution des terres aux familles autochtones, la mort de Denys dans un accident d’avion en 1931 parachève dramatiquement cette odyssée africaine.

L'écrivaine Karen Blixen, en 1930, devant sa ferme de la plantation de café au Kenya / Fotografisk Atelier. DKB. / © Karen Blixen/Royal Danish Library

« Rêver, c’est le suicide que se permettent les gens biens élevés », écrivait cette flamboyante aventurière, qui, de retour au Danemark, sous le masque de personnages tourmentés, d’êtres déchirés, trouve enfin son unité dans l’écriture. Avant les Danois, les Américains seront les premiers à festoyer à la table de Babette, reconnaissant en cette conteuse d’une étonnante modernité l’un des grands écrivains du XXe siècle. Une voix qu’Elisabeth Kapnist, dans le tissu des songes et des textes auréolés de splendides images, restitue ici avec éclat.

Karen Blixen, le songe d’une nuit africaine, d’Elisabeth Kapnist (Fr, 2017, 55 min).