La grande TV 8k annoncée par LG une semaine avant le CES 2018. / LG

Peu avant l’ouverture du Consumer Electronics Show (CES), l’immense salon de l’électronique grand public qui se tient à Las Vegas du mardi 9 au vendredi 12 janvier, LG a dévoilé une télévision à la diagonale spectaculaire de 88 pouces et Samsung a présenté un modèle de 85 pouces. Ce ne sont pas seulement deux très grandes télés. Pour comprendre leur particularité, il faudrait pouvoir s’en approcher de très près : leur précision visuelle est supérieure. Ces deux écrans 8K concentrent environ quatre fois plus de pixels que les modèles 4K ou UHD commercialisés depuis plus de cinq ans. Et seize fois plus de pixels que les écrans Full HD qui équipent encore beaucoup de salons. Ces chiffres font tourner la tête, mais cette débauche de finesse est-t-elle d’une quelconque utilité ?

La Q9s, la télévision 8K de 85 pouces de Samsung. / Samsung

La 4K peine déjà à convaincre

La question se pose, car les écrans 4K paraissent déjà exploiter toute l’acuité de la vision humaine, et même au-delà. Rappelons-le, la différence entre un écran 4K et un écran Full HD est loin d’être toujours perceptible à l’œil nu. Tout dépend de la taille de l’écran, ainsi que de la distance à laquelle on le regarde.

L’exemple des téléviseurs dotés d’une grande diagonale de 55 pouces est parlant. Sur ces écrans, l’avantage de la 4K est théoriquement perceptible à partir de deux mètres de distance, mais il n’apparaît de façon indiscutable qu’à partir d’un mètre cinquante, à moins d’avoir une vue exceptionnellement fine. Bien peu de canapés sont placés à un mètre cinquante de la télévision, excepté dans les appartements où la place manque. Certains joueurs, il est vrai, se rapprochent de leur télé quand ils branchent leur console, suffisamment pour profiter du potentiel de la 4K.

C’est surtout lorsqu’on augmente la taille de l’écran que la 4K prend tout son sens. Mais à quel prix ? Les téléviseurs 4K de 75 pouces de diagonale, commercialisés à partir de 2000 euros, offrent une qualité d’image nettement supérieure à celle des TV Full HD lorsqu’on les place à deux mètres du canapé. Mais aussi immenses soient-ils, ces écrans ne profitent pas encore du plein potentiel de finesse de la 4K. A deux mètres de distance, si l’on veut tirer le meilleur de la 4K, il faut s’offrir un projecteur commercialisé 2 500 euros minimum, et diffuser une image de 2m30 de large, soit 70 centimètres de plus que celle d’une TV 75 pouces.

L’écran d’ordinateur Ultrasharp 8K de Dell, commercialisé fin 2017.

L’image est immense, elle envahit une grosse partie du champ visuel. Tout le monde n’apprécie pas d’être immergé à ce point. L’impression est proche de celle du spectateur de cinéma qui s’assoit au premier tiers d’une grande salle. Cela peut convenir pour regarder un film ou une série de temps en temps. Mais au quotidien, lorsqu’on regarde beaucoup la télévision, on peut trouver cet écran franchement inconfortable, voire désagréable lorsqu’on apprécie plus les émissions TV que les films.

Pour la plupart des Français, un simple écran Full HD suffit amplement. Ce type d’écran n’est hélas plus la priorité des fabricants. Les modèles de grande taille, supérieurs à 36 pouces, se raréfient. Les magasins Darty, par exemple, en proposent sept fois moins que des TV 4K/UHD.

La LG 65UH8800, un téléviseur 8K commercialisé en Chine. / Sharp

L’intérêt de la 8K est difficile à saisir

Si la 4K pousse nos perceptions visuelles à leur limite, à quoi peut servir la 8K, hormis à préserver le chiffre d’affaires des fabricants de télés ? Dans un salon, sur un téléviseur 55 pouces, la différence entre 4K et 8K est totalement imperceptible, même à un mètre de distance. Même avec l’aide d’un projecteur, la différence reste imperceptible, à moins de s’approcher à une distance déraisonnablement proche de l’écran. Pourquoi voudrait-on se coller à deux mètres d’un écran de quatre mètres de large ? Cela reviendrait à s’asseoir au tout premier rang d’un grand cinéma, rang qui ne séduit presque personne quand la salle n’est pas pleine.

Les usages n’existent pas encore. Ils restent à inventer, et pour un peu, cela nous entraînerait dans un paysage de science-fiction. On pourrait imaginer un mur d’images servant de décor animé : une fenêtre ouvrant sur la savane africaine ou une vallée alpine. A la demande, cet écran pourrait diffuser la télévision dans un rectangle beaucoup plus petit, et donc plus confortable visuellement. On peut imaginer que les créateurs de films apprennent à tourner très large, et à concentrer l’action au centre de l’image, pour mieux immerger le spectateur. Certains cinéastes ont déjà commencé à le faire lorsqu’ils réalisent des films destinés aux immenses salles IMAX Dome. Mais il faudra probablement attendre quelques décennies avant que le « mur d’écran 8K » devienne accessible aux bourses des particuliers.

Une salle de cinéma immersive IMAX. / IMAX

Entre-temps, il faudra inventer des tuyaux plus larges. Car pour l’heure, même la 4K peine à se faufiler jusqu’aux téléspectateurs. Très peu de chaînes diffusent des programmes 4K/UHD, uniquement via fibre optique, le satellite, ou les connexions ADSL les plus rapides. Les premières chaînes de TNT UHD sont attendues pour dans plusieurs années. Les services de vidéo par Internet comme Netflix peinent à diffuser à toute leur clientèle une bonne image Full HD aux heures de pointe. Et même si théoriquement, certains programmes Netflix ou Amazon sont accessibles en 4K, la rapidité de la connexion ADSL de millions de domiciles leur interdit d’en profiter. Toutefois, le défi de la diffusion 8K ne semble pas insurmontable. Le groupe d’audiovisuel public japonais NHK teste la diffusion par satellite depuis 2016.

Pour le moment, les usages des écrans 8K paraissent surtout limités aux applications professionnelles. Les médecins, par exemple, apprécient de pouvoir s’approcher à 30 centimètres d’un grand écran 30 pouces pour percevoir un détail d’une netteté parfaite. La 8K est déjà utilisée en endoscopie et en imagerie médicale. L’industrie du divertissement pourrait se laisser séduire : on pourrait imaginer qu’un parc de loisirs bâtisse une attraction spectaculaire sur la base d’un immense écran à la définition troublante. Nos salons, eux, attendront.