Une délégation nord-coréenne, menée par Son-Gwon, franchissent la ligne de démarcation avec la Corée du Sud, à Panmujeon le 9 janvier. / - / AFP

Editorial du « Monde ». Après des mois d’escalade de la tension, attisée par les provocations incessantes entre le président américain, Donald Trump, et son homologue nord-coréen, Kim Jong-un, une accalmie semble enfin se dessiner au-dessus de la péninsule coréenne.

Le 3 janvier, lors de sa traditionnelle adresse à la nation, M. Kim a certes réitéré ses menaces habituelles, précisant qu’il gardait à portée de main le « bouton atomique ». Mais il a tendu l’autre main à son frère ennemi sud-coréen en évoquant son souhait que son pays participe aux Jeux olympiques d’hiver qui débutent dans un mois en Corée du Sud. La réponse de Séoul a été immédiate : mardi 9 janvier, des officiels nord et sud-coréens se sont parlé dans le « village de l’armistice » de Panmunjeom, sur la zone démilitarisée qui, depuis 1953, divise le territoire au niveau du 38e parallèle.

Cet apaisement doit tout, en réalité, à la volonté inébranlable d’un homme, le président progressiste élu par les citoyens sud-coréens en mai 2017, Moon Jae-in. Celui-ci veut garantir à tout prix la paix avec la Corée du Nord. Les Etats-Unis, leur allié japonais et la droite sud-coréenne craignent qu’il ne cède trop à son voisin pour obtenir en retour sa participation aux Jeux olympiques. Ils accusent la République populaire démocratique de Corée de vouloir diviser Washington et Séoul, comme si la navrante diplomatie de Donald Trump ne justifiait pas, à elle seule, de prendre quelque distance avec un protecteur américain aussi imprévisible.

Sans les Etats-Unis

C’est peu de dire que les Etats-Unis n’ont pas contribué à cette détente inattendue. Depuis des mois, Donald Trump n’a eu de cesse de jeter de l’huile sur le feu en se livrant, par l’intermédiaire de Twitter, à des joutes puériles avec la propagande nord-coréenne. Et l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, n’aura pas ménagé ses efforts pour torpiller cette reprise du dialogue intercoréen, précisant que Washington ne le prendrait pas au sérieux tant que ne serait pas sur la table la question de la dénucléarisation de la Corée du Nord. Un prérequis bien illusoire, puisque Kim Jong-un conçoit l’arme nucléaire comme une assurance-vie qui doit lui éviter de finir comme Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi.

C’est donc sans les Etats-Unis, et presque contre eux, que les Coréens se parlent. Ils se sentent otages des grandes puissances, leur sécurité à la merci des intérêts de géants qui les considèrent comme des pions. Un refrain récurrent de leur histoire : aux mains de la Chine, du Japon, puis déchirés entre les deux blocs, soviétique et occidental, les Coréens redoutent que leur destin, une nouvelle fois, leur échappe.

C’est cette crainte qui a poussé M. Moon, dès son installation à la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne, à militer pour des « Jeux de la paix » et à tendre la main à son voisin du Nord. Cette détermination a payé : à un mois des Jeux, le Nord a dit sa volonté d’y envoyer une délégation. Et, à la demande de Séoul, l’armée américaine a accepté de reporter les exercices militaires organisés avec le Sud, initialement prévus au moment des Jeux.

Cette accalmie est évidemment des plus fragiles. Pour l’heure, elle ne fait que suspendre temporairement la logique périlleuse qui alterne essais balistiques et nucléaires nord-coréens, incessantes menaces de rétorsion américaines et nouvelles sanctions onusiennes contre Pyongyang. Mais, dans un climat aussi électrique, on ne saurait bouder ce moment de détente.