Samedi 6 janvier, vers 6 heures du matin, Ibrahima Dafé, un jeune bûcheron, a été capturé par des hommes encagoulés alors qu’il allait couper du bois dans la forêt protégée de Bourofaye Bainounk, dans le sud du Sénégal. « Ils étaient en uniforme militaire, munis de chaussures de type rangers ou en plastique et parlaient en langue locale », explique-t-il à l’AFP depuis son lit d’hôpital à Ziguinchor, capitale de la Casamance. « J’ai été le premier à être capturé », affirme-t-il. Emmené par ses ravisseurs dans un coin reculé de la forêt, il sera bientôt rejoint par d’autres coupeurs de bois arrêtés dans des circonstances similaires.

« Deux personnes m’ont interpellé en pleine forêt, m’ont demandé si j’avais un téléphone portable et m’ont sommé de l’éteindre », raconte à l’Agence de presse sénégalaise (APS) Amadou Diallo, un autre rescapé – deux balles ont été extraites de son corps. « Nous étions une vingtaine de personnes, les hommes armés étaient plus de 30 voire 40, poursuit-il. Certains portaient des uniformes, d’autres étaient encagoulés. Ils nous ont ordonné d’enlever nos chaussures. Ensuite, ils nous ont demandé de nous coucher par terre et ils ont commencé à nous arroser de balles. Ceux qui tentaient de fuir ont été achevés. Moi, je n’ai pas bougé. »

Attirées par les bruits des tirs, ce sont des femmes travaillant dans des rizières voisines qui ont trouvé les morts. Treize exécutés, dont « dix par balles, deux par arme blanche et un brûlé », a annoncé le secrétaire général du gouvernement sénégalais. L’attaque a également fait sept blessés, dont deux graves évacués d’urgence vers Dakar.

Cent cinquante parachutistes

Dimanche, le Sénégal s’est réveillé groggy. Le président Macky Sall, dont les vœux pour la nouvelle année accordaient une place importante à un appel visant la consolidation d’une paix « sans vainqueurs ni vaincus » en Casamance, région en proie à un conflit indépendantiste depuis 1982, a décrété deux jours de deuil national. Il n’existe aucun bilan officiel de ce conflit qualifié par les spécialistes de « basse intensité », mais des centaines de personnes – civils, rebelles ou militaires – ont été tuées au cours des 35 dernières années dans des combats ou victimes des mines antipersonnelles. La situation s’était toutefois apaisée grâce aux tractations de paix menées depuis l’arrivée au pouvoir, en 2012, de Macky Sall.

Aly Ngouille Ndiaye, le ministre de l’intérieur, a pris la tête d’une délégation dépêchée sur place « pour évaluer la situation sécuritaire et présenter les condoléances de la nation aux familles éprouvées ». Dimanche, une compagnie de 150 parachutistes a été envoyée depuis Ziguinchor « afin de traquer les responsables de ces crimes et travailler en étroite collaboration avec la gendarmerie pour fouiller la zone de fond en comble », a expliqué au Monde Afrique Abou Ndiaye, porte-parole de l’armée sénégalaise.

Si le gouvernement se refuse pour l’instant à désigner des coupables, nombreux sont les médias et les personnalités politiques qui soupçonnent les hommes de César Atoute Badiate, chef rebelle du front sud du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Certains avancent l’hypothèse d’un acte désespéré face à des négociations de paix ne considérant que les revendications de Salif Sadio, chef rival du front nord. L’affront de trop aurait été la libération par les autorités sénégalaises de deux des hommes de Sadio, le 1er janvier, après une médiation de la communauté catholique de Sant’Egidio. Refusant de s’exprimer sur un potentiel accord de libération avec le MFDC nord, le gouvernement, discret sur l’affaire, a indiqué que les détenus avaient simplement bénéficié d’un non-lieu.

Mais cette hypothèse ne tient pas debout d’après l’ancien journaliste Demba Ndiaye, spécialiste du conflit casamançais : « Si Badiate voulait faire pression sur le gouvernement pour montrer que le front sud existe toujours, il ne tuerait pas treize personnes, ça le desservirait. Il ferait un communiqué, comme d’habitude, car il est toujours prêt à négocier. » Selon lui, si les responsables sont peut-être des hommes du MFDC, le mobile ne serait pas lié aux négociations de paix mais au trafic de bois de teck. « La forêt de Bourofaye est leur forêt sacrée, l’un des derniers poumons verts du Sénégal, poursuit-il. Malgré les avertissements, leur territoire est violé en permanence par les coupeurs de bois qui alimentent les scieries de Ziguinchor et le commerce international. »

Bandes armées rivales

Un avis qui fait écho au communiqué du MFDC publié lundi et dans lequel la rébellion « condamne fermement cet acte » et présente ses condoléances « aux familles éplorées ». Les indépendantistes demandent aux autorités sénégalaises « d’orienter leurs enquêtes vers le gouverneur de la région de Ziguinchor, le chef du service régional des eaux et forêts, le commandant de la légion gendarmerie sud et le procureur de la République en poste à Ziguinchor », qu’ils accusent d’être « à la tête d’un vaste réseau de coupe clandestine et de vente illicite du bois de teck en provenance de la forêt du Bayotte », autre nom pour la forêt de Bourofaye.

Et de dénoncer des coupeurs de bois venus de Ziguinchor et de la Guinée-Bissau voisine, qui « opèrent de nuit comme de jour avec la complicité des agents des eaux et forêts et de la gendarmerie ». Selon les rebelles, le massacre serait le fait de bandes armées rivales de coupeurs de bois liés à des scieries locales se menant « une forte concurrence, laquelle a fini par instaurer une atmosphère d’animosité entre leurs employés ».