La future usine chinoise de New Areva devrait intégrer les technologies de l’usine de La Hague, près de Cherbourg, en terme de traitement et recyclage des déchets. / BENOIT TESSIER / REUTERS

C’était devenu presque une plaisanterie dans le petit milieu du nucléaire français. Après plus de dix ans de négociations, de volte-faces et de déceptions, New Areva – nouveau nom de l’activité combustible de l’ex-Areva – devrait signer mardi 9 janvier, lors de la visite officielle d’Emmanuel Macron en Chine un protocole d’accord commercial avec le groupe nucléaire étatique chinois CNNC pour la construction d’une usine de retraitement de déchets nucléaires dans le pays.

S’il était signé, ce contrat de plus de dix milliards d’euros, permettrait à Pékin de retraiter et de recycler son combustible nucléaire, jusqu’à présent entreposé dans des piscines. Mais aussi à New Areva de relever la tête, après des années de difficultés.

Même si le texte qui doit être signé mardi n’a pas de caractère définitif, l’entreprise française et le gouvernement se disent confiants dans la capacité à signer un contrat en bonne et due forme dans l’année.

Dix ans de construction

Le sujet a été évoqué directement entre Emmanuel Macron et Xi Jinping lors d’un dîner lundi entre les deux chefs d’Etat. Côté gouvernement, on se félicite déjà d’une signature probable au printemps, tout en reconnaissant qu’il a fallu « faire un effort sur le prix » et que « les négociations avec les Chinois sont extraordinairement difficiles ». Chez New Areva, la prudence est de mise, et l’on estime que les négociations précises sur le prix et les détails de l’accord commercial peuvent encore prendre plusieurs mois.

En 2016, déjà, l’Elysée et l’entreprise française estimaient qu’un accord était très proche, sans finalement qu’il ait été concrétisé.

Cette usine serait bâtie sur le modèle de celles de La Hague (Calvados) et Mélox (Gard) : il s’agit de retraiter et recycler sur le même site l’uranium qui alimente les centrales et dont la radioactivité après usage est considérable. Le coût total pourrait excéder les 20 milliards d’euros, dont la moitié irait à Areva. L’usine, qui ne sera pas opérationnelle avant 2030, devrait pouvoir retraiter 800 tonnes de combustible par an.

Areva s’est fait le champion de cette logique qu’on appelle le « cycle fermé » : il s’agit de valoriser ce qui peut encore l’être dans les déchets nucléaires extrêmement radioactifs. Le groupe français dispose d’une technologie inégalée dans ce domaine. D’autres puissances nucléaires, comme les Etats-Unis, ont fait le choix du « cycle ouvert », qui consiste à laisser les déchets en l’état.

Depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima, la filière nucléaire est en mauvaise santé : de nombreux pays ont abandonné leurs projets nucléaires, certains – comme l’Allemagne – ont même fermé des centrales, sans compter que la baisse des prix bas du gaz et des énergies renouvelables est venue concurrencer l’atome.

Or la Chine est le pays le plus en pointe dans la construction de centrales nucléaires depuis plusieurs années. La filière chinoise, en partie bâtie avec la collaboration d’EDF et Areva, est plus que florissante : le pays construit actuellement une vingtaine de réacteurs. C’est d’ailleurs dans le sud-est du pays, à Taïshan, que devrait démarrer en 2018 le premier EPR détenu à 30 % par EDF.

Un vent d’air frais pour New Areva

Ce contrat signe donc une double bonne nouvelle pour Areva. D’abord, parce qu’il va permettre d’assurer une activité continue à 2 000 ingénieurs français pendant les sept prochaines années. Mais aussi par l’impact qu’il aura sur le groupe nucléaire français.

Depuis 2012, Areva a connu une descente aux enfers que rien ne semblait pouvoir arrêter : à la crise de 2008 et à la catastrophe de Fukushima sont venus s’ajouter des investissements hasardeux, la déroute de l’EPR en Finlande, des affaires de corruption et une concurrence néfaste avec EDF. Une succession de difficultés qui ont conduit le géant nucléaire à une recapitalisation et une restructuration douloureuses.

Le groupe a été scindé en deux morceaux : New Areva – qui vient de signer l’accord en Chine – a gardé l’activité des mines d’uranium et du cycle du combustible. Areva NP, renommé Framatome début janvier, est devenu une filiale d’EDF. La maison mère, Areva SA, a été maintenue le temps que l’épineux contrat de l’EPR finlandais, complexe gouffre financier, se termine.

Le groupe Areva a fait partir près de 6 000 salariés en deux ans, et fait face à des perspectives difficiles dans les prochaines années : alors que la filière nucléaire pèse bien peu au niveau mondial, quelles peuvent être les perspectives d’un groupe spécialisé dans le combustible nucléaire ? « Nos perspectives à court terme ne sont pas bonnes, mais à moyen terme, il y a de l’espoir », lançait avec un optimisme très mesuré un dirigeant de New Areva fin novembre.

« Cet accord, c’est une voie de sortie pour toute la filière nucléaire », se félicite-t-on au gouvernement, à qui les difficultés d’Areva ont donné des sueurs froides ces dernières années.

Relations difficiles avec les partenaires chinois

Cet éventuel contrat arriverait donc à point nommé. « D’autant que la restructuration et les budgets ont été faits sans compter dessus », explique-t-on en interne. Il y a quelques mois, un tel contrat semblait encore impossible, tant les relations avec les partenaires chinois ont été difficiles. Ainsi, Paris avait refusé en 2017 les exigences mises par la Chine pour l’entrée de CNNC dans le capital de New Areva.

« Les Chinois se sont rendu compte qu’ils auront du mal à faire sans nous », se vante-t-on chez Areva, où on rappelle que les tentatives de reproduire la technologie française, notamment au Japon, se sont soldées par des échecs.

Reste que la route sera longue avant que cette usine ne voie le jour : en 2016, alors que les négociations semblaient en bonne voie, les habitants de Lianyungang, ville côtière de l’est de la Chine, se sont mobilisés massivement pour protester contre l’éventualité que leur commune héberge une telle usine. Ils brandissaient des pancartes « Nous aimons notre Lianyungang, pas de déchets nucléaires ! ». Cette fois-ci, la localisation de cette usine sera probablement tenue secrète par le pouvoir chinois le plus longtemps possible.

Le premier EPR chinois aura quelques mois de retard

L’Eysée a confirmé, mardi, que la mise en service du premier réacteur nucléaire EPR de Taishan en Chine ne débutera pas avant mi-2018. Le groupe nucléaire chinois CGN, qui détient 70 % du projet, EDF détenant les 30 % restants, avait annoncé fin décembre que le démarrage, qui devait initialement avoir lieu fin 2017, aurait du retard. D’ultimes vérifications de sûreté seraient à l’origine de ce report. Ce serait le cas échéant le premier EPR opérationnel dans le monde, avant même ceux en chantier à Flamanville (France) et en Finlande.