Le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, au centre, à la gare Montparnasse à Paris, le 10 décembre 2017. / JACQUES DEMARTHON / AFP

Au final, cela a fait pschitt. Lundi 8 janvier, la ministre des transports, Elisabeth Borne, avait convoqué urbi et orbi Guillaume Pepy et Patrick Jeantet, les deux patrons de la SNCF, pour une « réunion de travail » après la série d’incidents qui ont marqué la compagnie depuis six mois et la méga-panne de Montparnasse début août 2017.

Quand la lettre avait été envoyée, entre Noël et le Nouvel An, le ton était comminatoire. A croire que Mme Borne, ancienne directrice de la stratégie de la compagnie nationale, voulait faire un sort à M. Pepy, son ancien patron. Aucun de ses prédécesseurs n’y est arrivé. Ce ne sera pas encore pour cette fois, malgré l’exaspération de nombreux usagers.

Si M. Pepy a rappelé que son mandat était à la disposition du gouvernement, le premier ministre, Edouard Philippe, est monté au créneau dès le 3 janvier pour soutenir le président du directoire du groupe SNCF, tout comme Christophe Castaner, le délégué général de La République en marche. La ministre des transports a adouci ensuite sa position.

Séquence médiatique

M. Pepy sort paradoxalement renforcé de cette séquence médiatique à la suite des divers incidents et pannes qui ont touché et désorganisé fin décembre 2017 certaines gares parisiennes et de région, ainsi que du drame du passage à niveau de Millas (Pyrénées-Orientales) qui a coûté la vie à six enfants. Serein dans l’adversité, M. Pepy a annulé ses vacances pour rester sur le pont et affronter les récriminations et autres indignations. Son lot quasi quotidien depuis désormais dix ans à la tête du groupe public.

Lundi, Mme Borne s’est bornée à demander un audit des grandes gares et des propositions de correctifs. Avec les importants travaux de régénération des infrastructures en cours, les équipements sont soumis à rude épreuve. « Faire du neuf sur de l’ancien est assez risqué, confiait M. Jeantet, le président de SNCF Réseau, lundi soir lors des vœux du groupe. Dans ce type de travaux, le risque zéro n’existe pas, donc nous devons absolument renforcer la résilience de l’ensemble de nos systèmes et réseaux. » SNCF Réseau promet de publier d’ici à mars un diagnostic complet sur l’ensemble des systèmes d’alimentation électrique, de signalisation et sur les postes informatiques. Dans la foulée, les premiers travaux seront lancés.

Afin d’améliorer l’information des passagers, M. Pepy a pour sa part fait plusieurs propositions à la ministre des transports. Tout d’abord, pour chaque ligne, les travaux en cours seront indiqués non plus seulement sur Internet, mais en tête de chaque train, afin de mieux sensibiliser les voyageurs.

Quelque 5,5 millions de voyageurs transportés

La SNCF va mettre en place dans le même temps un « indicateur de gravité des incidents d’exploitation du réseau affectant les voyageurs », sur le modèle des échelles existant dans le secteur nucléaire. « Une échelle de 1 à 7 sera proposée, précise M. Pepy. L’idée est de mieux prévenir les passagers de l’importance d’un problème. Est-ce un simple retard de quelques minutes, de niveau 1, ou un grave accident de niveau 6 ou 7. Nous souhaitons le lancer dès la semaine prochaine. »

Ces propositions seront-elles à la mesure des défis que doit relever la compagnie nationale dans la gestion de son réseau vieillissant ? Avec un budget de 5,2 milliards d’euros, l’Etat n’a jamais autant investi dans la régénération et la maintenance de son réseau, mais la SNCF continue, et continuera à faire face à des incidents ou à des pannes. Avec quelque 5,5 millions de voyageurs transportés, le système ferroviaire, fragilisé par trente ans de sous-investissements, est de plus en plus sollicité, comme en témoigne la croissance de la fréquentation en 2017 : hausse de 10 % dans les TGV, de 6,8 % dans les intercités ou de 4,6 % dans les TER…

Au-delà du sous-investissement, l’histoire récente de l’entreprise ferroviaire explique aussi les difficultés du groupe. Divisés entre 1998 et 2015, SNCF et Réseau ferré de France (aujourd’hui SNCF Réseau) se sont livrés une longue guerre de tranchées. Menée en particulier par M. Pepy, cette lutte a affaibli et désorganisé tous les services, et notamment SNCF Infra, chargée de la maintenance du groupe.

Ouverture de la concurrence ferroviaire en France

Plus récemment, les ratés sur la nouvelle ligne Tours-Bordeaux démontrent une perte de savoir-faire industriel de l’opérateur historique, qui est imputable au management de son dirigeant. « M. Pepy est un marketeur en chef, un homme qui sait affronter les crises comme personne. C’est un véritable phénomène, juge un observateur du secteur, mais ce n’est pas un industriel et cela commence à sérieusement se voir au sein du groupe. »

Suffisant pour lui montrer la porte ? Non. Le gouvernement n’y est pas prêt. Non seulement les candidats à sa succession ne sont aujourd’hui pas légion, mais l’exécutif aura besoin de lui et de sa maîtrise, notamment du corps social de la SNCF (sous sa présidence, le nombre de jours de grève a dégringolé ces dix dernières années), pour affronter les réformes promises par Emmanuel Macron.

Outre la remise à plat des modèles économiques du TGV et du fret, le choix des infrastructures à développer et la future loi organique sur la mobilité, l’Etat entend légiférer sur l’ouverture de la concurrence ferroviaire en France, un sujet forcément explosif pour les cheminots, et peut-être également sur le sort du statut des cheminots comme le président de la République l’avait préconisé à l’été 2017.

Autre terrain miné, la réforme des retraites, promise pour la fin de l’année 2018-début 2019. En changeant l’organisation générale du système de retraite, l’Etat souhaite mettre un terme aux régimes spéciaux, ce qui concerne encore au premier chef les cheminots. Pour mener ces grandes réformes à la fois complexes et pas forcément populaires, le gouvernement a intérêt à pouvoir compter sur un allié qui connaît le moindre recoin de la SNCF. Et M. Pepy est toujours l’homme de la situation. Son mandat court jusqu’en 2020.