Depuis les années 1990, l’hôpital français tente de développer sa pratique de la chirurgie ambulatoire — soit une sortie du patient le jour même de son intervention chirurgicale — pour réduire ses coûts. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a fixé pour objectif que sept patients sur dix soient ainsi opérés d’ici cinq ans. Mais pour Yann Gouëffic, chef du service de chirurgie vasculaire au CHU de Nantes, « tout n’est pas rose dans l’analyse financière de l’ambulatoire ».

Que pensez-vous des objectifs fixés par le gouvernement de 70 % de chirurgie ambulatoire à l’hôpital d’ici 2022 ?

Il est important que le ministère de la santé montre la direction. Poser des objectifs ambitieux, c’est bien. Rien ne va bouger si l’Etat ne le fait pas. Si on demande à dix personnes de revoir complètement leur manière de travailler, le risque c’est de se retrouver avec neuf d’entre elles qui disent non.

En revanche, pour que cela marche, il faut s’en donner les moyens. Au plan financier, il faut évidemment que les politiques tarifaires soient incitatives. Pour l’heure, les recettes générées par l’ambulatoire sont toujours inférieures à celles réalisées auparavant en hospitalisation complète, c’est paradoxal.

Mais il faut aussi qu’on soit inventifs sur les manières de motiver les équipes soignantes à se tourner de plus en plus vers l’ambulatoire. En Suisse, par exemple, quand les chirurgiens prennent un patient en conventionnel, ils ont accès à un matériel limité, assez traditionnel. En ambulatoire, en revanche, ils ont accès à tout le matériel qu’ils veulent, peuvent innover, changer de technique, etc. Cela encourage la mobilité d’exercice pour les chirurgiens, c’est une bonne « carotte ». Je suis sûr qu’il existe plein de bonnes idées pour valoriser l’équipe soignante.

La chirurgie ambulatoire est-elle si intéressante financièrement pour les hôpitaux ?

Il y a peu d’études qui font référence sur le sujet. La plupart des rapports concluent à une rentabilité de la pratique ambulatoire par rapport à la pratique conventionnelle. Sur le papier, cela paraît évident : vous vous occupez de deux patients en une journée au lieu d’un seul et vous n’avez plus besoin de personnel la nuit, donc on a le sentiment que vous cassez les coûts.

Mais tout n’est pas rose dans l’analyse financière de l’ambulatoire. Il y a tout ce qui n’apparaît pas au premier regard : le coût pour la société de l’ambulance par exemple, de l’aide à domicile. Ou le fait que l’ambulatoire crée, dans beaucoup de services, un besoin paradoxal de plus de personnel pour s’occuper des patients plus lourds qui sont plus nombreux dans les lits du service.

A Nantes, ça a frotté dur, la direction a consenti à augmenter le nombre d’aides-soignants pour compenser la lourdeur de la charge de travail laissée par le glissement de l’activité vers l’ambulatoire.

Il n’y a jamais de solution miracle. Il y a une évaluation nécessaire à long terme à réaliser à l’échelle nationale.

Le risque n’est-il pas de mettre en danger les patients en systématisant l’ambulatoire même quand ce n’est pas adapté ?

Si, en dix ans de pratique ambulatoire, j’avais estimé que cela portait préjudice à mes patients, cela fait bien longtemps que j’aurais arrêté. Dans ma pratique courante, l’ambulatoire est proposé, mais pas forcé. Cela correspond aussi à une envie des patients de vouloir rentrer chez eux au plus vite et rester le moins possible à l’hôpital.

A Nantes, les études que nous avons menées ont montré qu’il n’y avait pas plus d’accidents ou de complications en ambulatoire.

Je pense qu’un service ambulatoire bien organisé est bénéfique pour le patient, qui est pris en charge plus efficacement. Il rentre à la bonne heure, il sort à la bonne heure. Cela donne des prises en charge souvent de meilleure qualité par rapport à ce qui était proposé auparavant.

Mais il faut bien sûr être vigilant, cela reste très difficile de généraliser quand on parle d’humains. On sait que tous les patients ne répondent pas aux critères de prise en charge en ambulatoire. Il va y avoir des dérives si on met trop de pression, et si l’argument économique prend le dessus sur l’intérêt clinique.

Le patient n’étant plus sous surveillance, les conséquences ne risquent-elles pas d’être plus lourdes s’il y a une erreur au moment de la prise en charge ?

L’éventualité de poursuites en cas de complications est toujours un des principaux freins au développement de l’ambulatoire dans le milieu médical. C’est pour cela que l’Association française de chirurgie ambulatoire entend publier, en 2018, des lignes directrices pour encadrer les pratiques médicales et rassurer les praticiens.

Nous espérons que ces supports pourront permettre de lever les réticences, et montrer que le risque n’est pas plus important en ambulatoire qu’en conventionnel. Les pratiques médicales évoluent très rapidement. Il y a un équilibre à trouver entre ce sur quoi on a le recul nécessaire pour dire que c’est bénéfique pour le patient et ce qui mérite des études approfondies.

Mais je ne suis pas inquiet, les équipes médicales sont très qualifiées pour cela. Des travaux récents montrent que l’ambulatoire pourrait se développer de manière efficace et sûre pour le traitement de pathologies où cela n’aurait pas semblé possible il y a seulement quelques années.