Une employée prépare la vitrine d’une boutique avant les soldes, le 2 janvier. / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Quelque 130 milliards de pièces de vêtements sont produites chaque année dans le monde. Une production massive au coût écologique faramineux : le textile est aujourd’hui la deuxième industrie la plus polluante dans le monde, après le pétrole.

Alors que les soldes d’hiver débutent mercredi 10 janvier, Erwan Autret, ingénieur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) chargé du suivi de la filière textile, constate que le système fonctionne encore sur le modèle de la mode jetable, mais observe des avancées.

Quel est l’impact de l’industrie de la mode sur l’environnement ?

Erwan Autret : On relève trois impacts principaux : sur les émissions de gaz à effet de serre, sur la consommation d’eau, et sur son eutrophisation, c’est-à-dire le changement de composition chimique de l’eau à cause des polluants qui y sont déversés.

Concernant la consommation d’eau, on sait qu’il faut 27 000 litres pour fabriquer un tee-shirt, soit ce que consomme un individu en trois ans. Pour un jean, entre 7 000 et 11 000 litres d’eau sont nécessaires, l’équivalent de 285 douches.

L’Ademe travaille depuis deux ans avec sept entreprises volontaires, dont Decathlon et Okaïdi, pour évaluer plus précisément ces trois impacts sur l’environnement. L’analyse des données à l’échelle de chaque produit est en cours. On aura tous les résultats d’ici à mi-2018.

L’objectif de cette démarche est de permettre aux entreprises de se doter d’un affichage environnemental. Les consommateurs le verront sur les étiquettes au cours du premier semestre 2018.

On milite également pour que cette méthode d’évaluation de l’impact sur l’environnement, que seule la France expérimente de manière exhaustive, soit reconnue à l’échelle européenne.

Le secteur de la mode s’est-il emparé des enjeux environnementaux ?

Il existe des entreprises précurseuses. Quelques dizaines de petites et moyennes entreprises (PME), comme la marque de jeans 1083, ou les chaussures de sport Ector, s’engagent résolument en développant « l’écoconception », qui consiste à concevoir un vêtement en minimisant son impact environnemental – à travers le choix des matières premières, l’entretien que nécessite le vêtement, etc.

Ces entreprises montrent que l’on peut passer de la mode jetable à un système plus durable, où le vêtement peut être porté plus longtemps, et que faire du textile à 100 % recyclé est possible.

Leur nombre reste marginal…

C’est vrai que la marge de progression des entreprises dans le secteur de la mode reste immense. On est encore sur le modèle : « Je vends plus, et le consommateur jette plus. »

On constate également, à travers la filière de récupération, une baisse de qualité des textiles par rapport à ceux d’il y a quinze ou vingt ans.

L’enseigne H&M, qui incarne cette mode jetable, invite ses clients à rapporter leurs vieux vêtements pour les recycler, en échange d’un bon d’achat. Comment considérez-vous cette initiative positive ?

Je ne peux pas me prononcer sur une marque en particulier. Mais toute initiative permettant de récupérer une partie des 400 000 tonnes de vêtements non collectés chaque année (sur les 600 000 tonnes annuelles mises sur le marché) est bonne à prendre.

La question, c’est : que deviennent-ils ensuite ? Peuvent-ils atterrir sur le marché de l’occasion ? Refaire du fil ? Etre redécoupés ? Tout l’enjeu consiste à créer vraiment de l’économie circulaire, c’est-à-dire maintenir le maximum de la valeur de la matière, et faire en sorte que le vêtement soit dégradé le plus tard possible.

Quel dispositif légal permet-il de limiter l’impact de la mode sur l’environnement ?

La filière Eco TLC (textile, linge, chaussures) rassemble les marques, les associations et les opérateurs industriels. C’est ce dispositif, agréé par les pouvoirs publics en 2009, qui vise à organiser en France les activités de collecte, de tri et de recyclage des déchets textiles.

Une partie du prix de chaque vêtement, de l’ordre de quelques dizaines de centimes, finance ces activités. Un système de bonus a également été mis en place pour favoriser les matières durables.

Il existe dix labels différents pour le textile. Comment s’y retrouver ?

Pour le consommateur, c’est la jungle. Mais il n’y a qu’un seul label valable, c’est l’« écolabel européen ». C’est LA référence et le label le plus fiable de tous, car il rassemble un grand nombre de critères environnementaux, et évalue chaque phase de vie du produit, de sa création à sa fin. Les autres sont souvent des autodéclarations des entreprises elles-mêmes.

Les attentes des consommateurs ont-elles évolué ?

Oui. Aujourd’hui ils manifestent une réelle préoccupation sur l’aspect éthique des vêtements. Mais cela ne se traduit pas encore dans leurs actes d’achat. Le prix reste le critère numéro un. On reste soumis à la fast fashion (vêtements achetés à bas prix et jetés rapidement), et des achats impulsifs. Cette logique n’est toutefois pas propre à la mode, elle est aussi à l’œuvre pour tout ce qui est alimentaire et produits détergents.

Je ne sais pas quand on sera sortis du tunnel, mais je constate un vrai changement. Des entreprises précurseuses font avancer la filière, et les pouvoirs publics se sont à leur tour emparés de la question. Chacun commence à jouer son rôle. Mais il faut bien sûr que cela continue.