Editorial du « Monde ». « Gagner plus pour ne rien faire. » Rainer Dulger, le président de la fédération patronale de l’industrie allemande, n’hésite pas à ironiser sur les revendications de l’IG Metall. Le plus grand syndicat allemand vient en effet de se lancer dans une épreuve de force en réclamant la semaine de 28 heures, contre 35 actuellement. Une demande extravagante, répond le patronat, déclenchant ainsi un conflit social qui s’annonce long. Du jamais-vu depuis la réforme du marché du travail lancée en 2003 par Gerhard Schröder.

Les 3,9 millions de salariés de la métallurgie veulent toucher les fruits des efforts consentis depuis quinze ans. Mais, contrairement à 2003, ce ne sont plus les patrons qui demandent davantage de flexibilité, mais les salariés qui souhaitent que l’entreprise s’adapte à leur vie personnelle. Il s’agit de proposer à ceux qui le désirent de réduire leur temps de travail sur une période de deux ans pour s’occuper d’un enfant ou d’un parent âgé, le tout assorti d’une prime compensatrice de 200 euros. Parallèlement, le syndicat revendique une hausse de salaire de 6 % pour tous.

Les employeurs s’inquiètent surtout des conséquences d’une nouvelle réduction du temps de travail (RTT), alors que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée se fait cruellement sentir sous le double effet du vieillissement de la population et d’une économie au bord de la surchauffe. L’économie a progressé de 2,2 % en 2017 et pourrait même accélérer en 2018, à 2,5 %. Les entreprises ont de plus en plus de mal à honorer des carnets de commandes qui ne désemplissent pas.

Un problème de riches

La marge de manœuvre du patronat est donc étroite. Son principal argument consiste à souligner qu’il serait discriminatoire d’accorder une compensation financière aux candidats aux 28 heures, pendant que ceux qui ont déjà des horaires aménagés ne toucheraient rien.

A l’heure où les patrons français cherchent à regagner la flexibilité perdue lors du passage aux 35 heures, le cas allemand a de quoi faire réfléchir. Les contempteurs de la RTT n’ont-ils pas martelé que la France faisait fausse route en voulant partager le travail pour créer de l’emploi ? Mais, qu’on ne s’y trompe pas : la métallurgie allemande fait face à un problème de riches, difficilement transposable à la France.

D’abord, la mesure concerne un secteur industriel qui est au plein-emploi. Même si, à côté des salariés défendus par l’IG Metall, 50 % des entreprises allemandes restent sans convention collective, tandis que, dans les services, la précarité est souvent la règle. L’économie allemande est à deux vitesses. Avec le risque qu’une victoire de l’IG Metall accentue plus encore les inégalités.

Ensuite, si le syndicat réclame les 28 heures, c’est avant tout pour attirer à lui de nouveaux adhérents en rajeunissant et en féminisant sa base, pas pour faire baisser le chômage, comme c’était l’idée en France.

Le principal intérêt du rapport de force qui se joue en Allemagne est qu’il ne porte pas sur des revendications purement économiques, mais sur des aspirations sociétales. Celles-ci ont été formalisées par le syndicat à la suite d’enquêtes à grande échelle. Tout le contraire de la loi française, qui avait imposé d’en haut une réduction généralisée de la RTT. L’IG Metall a compris que le bien-être social doit être précédé par la prospérité économique. La France n’a pas procédé dans cet ordre. Pas étonnant que, de ce côté du Rhin, on discute encore de la suppression des 35 heures, tandis que, de l’autre, on cherche à passer aux 28 heures.