Le Conseil constitutionnel a de nouveau censuré, jeudi 11 janvier, une disposition de la loi de 1955 sur l’état d’urgence qui permettait aux préfets de créer des « zones de protection », par simple arrêté, « où le séjour des personnes » était réglementé, c’est-à-dire interdit, sans autre précision. Une disposition qui n’avait pas grand-chose à voir avec le terrorisme ou l’état d’urgence, et qui servait en l’occurrence à contrôler l’immigration.

Fabienne Buccio, la préfète du Pas-de-Calais, avait ainsi pris un arrêté le 23 octobre 2016 — un dimanche — pour créer une zone de protection dans le camp de la Lande, à Calais, arrêté qui interdisait « à toute personne de pénétrer dans la zone » du 24 octobre au 6 novembre, à l’exception d’une liste d’intervenants agréés par la préfecture. Elle justifiait alors l’interdiction d’accéder au camp de migrants par des risques d’actions violentes d’activistes, les No Border. De ce fait, les associations d’aide aux migrants, dont La Cabane juridique, qui a accompagné selon son avocat, Me Lionel Crusoé, deux cent cinquante migrants, dont des mineurs isolés et des demandeurs d’asile, se sont vu interdire l’accès à la « jungle » de Calais, tout comme les avocats et les journalistes. La préfecture étant fermée le lendemain, lundi, les demandes d’accréditation étaient restées lettre morte, et les fax envoyés par les avocats, sans réponse.

« Aucune garantie » à la mise en œuvre de ces zones

La Cabane juridique, Le Réveil voyageur, appuyées par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Syndicat des avocats de France (SAF), avaient aussitôt saisi en référé le tribunal administratif, mais la préfète n’avait pas attendu l’audience pour abroger, le 27 octobre, son arrêté. Le Défenseur des droits s’était depuis « interrogé » dans son rapport de décembre 2016 sur les raisons qui avaient poussé la préfecture à utiliser la loi sur l’état d’urgence en matière d’immigration, et s’était « questionné » sur l’amalgame entre les No Borders, les associations ou les avocats.

Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été transmise en octobre 2017 par le Conseil d’Etat au Conseil constitutionnel ; elle visait le second alinéa de l’article 5 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence, lequel permettait brièvement aux préfets « d’instituer, par arrêté des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ». Le Conseil a relevé jeudi que « le législateur n’a[vait] soumis la création d’une zone de protection à aucune autre condition », qu’il « n’a[vait] pas défini la nature des mesures susceptibles d’être prises par le préfet » dans ces zones, « et n’a[vait] encadré leur mise en œuvre d’aucune garantie ». Dès lors, il n’y a pas « de conciliation équilibrée » entre l’impératif de sauvegarde de l’ordre public et la liberté d’aller et venir, et l’alinéa est supprimé, avec effet immédiat. Le Conseil avait censuré pour les mêmes raisons l’article 8-1 de la même loi, qui permettait aux préfets de faire contrôler les identités, de fouiller les bagages ou les voitures dans ces zones.

Censure totale ou partielle prononcée à six reprises

La décision du Conseil est certes une victoire pour les associations, mais une victoire finalement morale : la France n’est plus sous le régime de l’état d’urgence depuis le 2 novembre 2017. « Cette décision pose aussi des questions sur le rôle du Conseil : il nous dit un an après que ces zones de protection étaient inconstitutionnelles, et donc illégales, alors qu’il n’y a plus d’état d’urgence », soupire Me Patrice Spinosi pour la Ligue des droits de l’homme. Cette neuvième QPC sur la loi de 1955 a permis au Conseil de prononcer à six reprises une censure totale ou partielle : « Les deux-tiers du dispositif législatif étaient illégaux, souligne l’avocat, ce qui prouve en passant que les menaces sur les libertés n’étaient visiblement pas tout à fait de l’angélisme. »

Le gouvernement avait cependant anticipé une possible censure de ces zones de protection, et la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a créé à nouveau des « périmètres de protection », avec davantage de garanties juridiques.

Des préfets les ont déjà utilisés à trente-trois reprises en deux mois, et les renouvellent sans cesse autour des gares du Nord à Paris et de Lille-Europe, ou dans le port de Dunkerque — il s’agit visiblement plus de lutter contre l’immigration clandestine que contre le terrorisme. Une nouvelle QPC sur ces zones, transmise en décembre par le Conseil d’Etat, devrait être examinée avant le printemps.