Vous constatez que Londres, New York et Paris ont des approches différentes de leur place dans la mondialisation. En quoi Paris se différencie-t-elle de ces deux villes ?

Londres et New York, les deux villes mondiales auxquelles Paris aime se comparer, ont une vision stratégique, une idée précise de leur avenir dans la mondialisation. Les milieux économiques et politiques la partagent. Leurs maires, quelle que soit leur appartenance politique, la défendent. Ces villes y croient. Paris, elle, n’y croit pas. Paris y va en traînant les pieds. Le monde vient à Paris, mais Paris ne s’ouvre pas au monde. La classe politique essaie constamment de se rassurer sur le fait que Paris est toujours dans la compétition, notamment par rapport à Londres, mais fondamentalement elle n’accepte pas la mondialisation. Paris, par sa puissance économique, est une ville globale, mais son élite pense toujours de manière étriquée, dans un cadre national, et trop souvent utilise Paris ou l’île de France comme marchepied dans une carrière politique.

Londres et New York seraient donc plus ouvertes au monde que Paris ?

Bill de Blasio, le maire de New York, ou Sadiq Khan, celui de Londres, font face à des gouvernements qui replient leurs pays sur eux-mêmes. Pourtant, ils sont capables d’entrer en conflit politique avec l’Etat. Et ils sont soutenus. Ainsi, les entreprises new-yorkaises les plus importantes, celles du « Partnership for New York City », ont produit en octobre un rapport disant que l’Etat fédéral devrait favoriser l’immigration, pour faire venir les nouveaux talents dont la ville a besoin. Et régulariser la situation de tous les migrants. A Londres, Sadiq Khan a lancé la campagne #Londonisopen, et défend une ville globale et ouverte. Ce hashtag signifie qu’il n’y a pas besoin d’être Anglais de souche pour être Londonien. Si vous êtes à Londres, vous êtes Londonien. Bill de Blasio et Sadiq Khan font savoir qu’ils reçoivent le monde entier, et que Londres et New York sont le monde entier. En revanche, l’immigration est un tabou à Paris. La ville a pourtant été construite grâce à l’immigration. Mais à Londres on se demande comment favoriser la création d’entreprises issues de l’immigration pakistanaise. A Paris on n’en parle pas.

Pourquoi cette entente entre responsables économiques et politiques est-elle plus difficile à Paris ?

En Ile-de-France, les relations entre le monde politique et les milieux économiques ne sont pas bonnes, teintées de méfiance, voire de défiance. A Londres, Sadiq Khan vient de créer le « Business Advisory Board » avec 16 chefs d’entreprise, dont 10 femmes, qui le conseillent sur la stratégie économique. Le monde économique travaille avec le maire depuis la création de l’autorité du Grand Londres en 2000. A New York, il en est de même. En Ile-de-France, ces deux mondes se parlent peu. Un bon exemple est la création de la métropole du Grand Paris, qui s’est décidée sans réelle discussion avec le monde économique ou la société civile.

La question des transports n’est-elle pas un peu caricaturale de certains blocages de la classe politique francilienne ?

Si. Le Grand Paris Express a été qualifié par l’ex vice-président en charge des transports à la région, Jean Vincent Placé, de « projet autoritaire et productiviste avant tout destiné à une classe d’affaires qui va de clusters en aéroports ». Il y a chez beaucoup d’élus cette idée que le CDG Express ou Grand Paris Express sont les transports des touristes et de la mondialisation alors qu’eux se battent pour les transports du quotidien. Ce n’est pas forcément faux, mais un peu caricatural. La lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christian Blanc en 2008, lorsqu’il l’a nommé secrétaire d’Etat au Grand Paris, était claire : il lui demandait de « permettre à la France de tenir son rang dans la compétition des territoires, en faisant de sa capitale une ville-monde ouverte, dynamique, attractive ». C’est une vision de la place de Paris dans la globalisation. Elle a été fortement critiquée, mais sans qu’une autre vision alternative ne soit avancée et mise en œuvre. Pour le reste, je ne vois guère de projet, guère de leader. Un vide cognitif sur la place de Paris et de l’Ile-de-France dans la globalisation. D’un côté, on se lance dans la compétition internationale avec les mêmes recettes que les autres, avec par exemple les candidatures aux grands événements ; de l’autre, on ne se concentre que sur les aspects négatifs de la globalisation, comme les inégalités socioterritoriales. Le système de gouvernance s’en retrouve bloqué, car ces deux visions sont portées par des acteurs de force quasi équivalente, qui ne se parlent pas et s’opposent de manière caricaturale. Pour sortir de ce blocage, il va falloir du temps et un processus de dialogue. A mon avis, seul l’Etat peut jouer ce rôle, mais il ne doit pas commencer par la charrue – à savoir la réforme institutionnelle –, mais bien par la coconstruction d’une vision.

Cet article fait partie d’une série de dix chroniques autour du Grand Paris Express, publiées sur la chaîne Smart Cities du Monde.