Mini-série sur Arte à 20 h 55

AURORE
Durée : 00:44

Depuis 3 × Manon, de Jean-Xavier de ­Lestrade, diffusée sur Arte en 2014, nous n’avions plus rien vu d’aussi fort, de dérangeant et de bouleversant, en matière de fiction française. La comparaison s’arrête là. Même si, dans Aurore, il est également question d’enfance esquintée, de reconstruction et de résilience, la minisérie de Laetitia Masson nous conduit dans l’univers propre d’une cinéaste dont la réalisation vise à mettre à distance le réel. Sa manière à elle de mieux l’appréhender.

Le premier plan a toujours une importance folle. Ici : une petite silhouette en tutu rose, baskets aux pieds, lunettes en cœur sur le nez, tournoie dans un décor trop grand, trop vide pour elle. Aurore, 10 ans – Lolita haute comme trois pommes, laissée à l’abandon par une mère prostituée qui rêve de devenir danseuse – sèche l’école et distrait ses heures à traîner. Seule ou avec le copain Chris, courant après n’importe quelle connerie pourvu qu’elle occupe. Les ­Quatre cents coups, plus de cinquante ans après Antoine Doinel, en quelque sorte !

L’enfance en errance ne mène nulle part. Ou plutôt si : dans un centre pour délinquants mineurs chez François Truffaut ; dans un établissement pénitentiaire chez Laetitia Masson. Parce qu’un soir, croisant Paulo et sa petite sœur Maya en train de manger des gâteaux dans un entrepôt, Aurore ne supportera pas qu’ils refusent de lui en offrir un. Alors, elle étranglera Paulo.

L’impact de l’éducation

L’histoire que nous raconte Aurore est partie d’un fait divers des années 1960 concernant le meurtre de deux enfants par une gamine. Il a conduit la réalisatrice à s’interroger sur l’impact que pouvait avoir l’éducation sur un enfant. Et la responsabilité de la société dans cette affaire. Laetitia Masson a voulu explorer, comprendre, analyser ce que peut ­entraîner l’absence de repères.

Elle n’y est pas allée par quatre chemins. Elle a tenu à filmer et montrer le crime. Surtout, elle a su l’amener tel qu’il le fallait, comme une suite logique de ce qui a précédé. Aurore en train d’étrangler un gosse pour un gâteau, guidée par un « pur » instinct animal ; au risque de choquer, la scène n’étonne pas plus que cela. Parce que chacun connaît, au fond, cette violence et cette cruauté enfantines. Chez Aurore – pour qui l’étreinte maternelle passe d’abord par une gifle et des cris –, le passage à l’acte surprend encore moins.

Elodie Bouchez incarne Aurore / Hassen BRAHITI /

Filmée dans le sud de la France, la minisérie de Laetitia Masson pose son cadre sur des décors de partout et d’on ne sait où. Des décors d’étendues désertes, de barres d’immeubles, d’entrepôts en ruine dans lesquels chaque individu paraît une fourmi. Un insecte dans un bocal. Destiné à une solitude profonde.

Dans Aurore, la réalité est crue. A l’image, elle s’exprime par l’utilisation de couleurs primaires claquantes, travaillées comme en peinture, à la manière d’un Godard des années 1960. L’esthétique donne le recul nécessaire à la réflexion. Laetitia Masson le sait qui ne s’interroge pas tant à « ce qui est raconté » mais « à la façon de le raconter ». Son travail passe par des choix qui nous éclairent. Des choix qui ne ­marchent sur les plates-bandes de personne. Tels ceux, par exemple, qui la guident dans ses castings vers des comédiens rares, dont on a le sentiment qu’ils jouent comme ils respirent, parfois avec urgence. Tous ces partis pris contribuent à cette sensation que l’on éprouve, en regardant Aurore, de vivre une expérience nouvelle.

Aurore, de Laetitia Masson. Avec Mélodie Gualteros, Elodie Bouchez, Ella Brunetto, Lolita Chammah, Aurore Clément, Hélène Fillières (France, 2017, 3 x 55 min).