Pour ce qui est du « black dress code » de la soirée des Golden Globes, « je suis montée dans le train en marche comme tout le monde », a expliqué l’actrice américaine Sarah Jessica Parker, ici avec Hugh Grant. / Paul Drinkwater / AP

La carte spéciale du jour propose un cocktail This is Us (tequila, mezcal, pamplemousse, gingembre), une coupe de The Crown (gin, citron, camomille) du nom de la série de Netflix, ou une bière et un shot si vous commandez un I, Tonya. Ce soir, c’est « viewing party » des Golden Globes au VNYL, un bar à écran géant de Manhattan. Le menu vous est apporté avec une feuille de pronostics à remplir.

Gin ou tequila. Spielberg ou Meryl Streep. Toutes ces décisions difficiles à prendre… Avant même de venir, il fallait trancher. « Thème glamour années 1970 », disait l’invitation du bar. « Habillez-vous en noir et postez vos photos sur les réseaux sociaux », demandait le collectif Time’s Up, fondé par 300 femmes actrices et agents pour protester contre le harcèlement dans l’industrie du cinéma.

« Je suis venue en noir par solidarité, mais il se trouve aussi que je m’habille tous les jours en noir. » Une avocate new-yorkaise

C’est pas tous les jours que l’on vous demande un geste de solidarité avec Hollywood et voilà peut-être la raison pour laquelle, à part une grande liane en dos nu au bar, la deuxième consigne a été plus respectée.

« Je suis venue en noir par solidarité, m’explique ma voisine, mais il se trouve aussi que je m’habille tous les jours en noir. » Elle est avocate et elle est new-yorkaise, deux raisons de ne pas porter de couleur. Pour tenter de réconcilier les deux injonctions, deux filles sont venues en minijupes et cuissardes noires. Quelle tenue choisir pour une soirée de lutte contre le harcèlement sexuel ? On n’a pas fini de se poser de nouvelles questions. La semaine dernière, le New York Times consacrait un article à « comment s’habiller pour porter plainte pour harcèlement sexuel sans mettre en cause sa crédibilité ».

Traditionnellement, une viewing party hollywoodienne réclame d’arriver une heure avant le début de la cérémonie pour commenter les arrivées et les robes. Voilà Sarah Jessica Parker, incarnation à l’écran du prototype de la New-Yorkaise, que l’animatrice salue comme étant à l’origine du mouvement. « Mais non, pas du tout, je suis montée dans le train en marche comme tout le monde », répond-elle. Plusieurs actrices expliquent en arrivant qu’elles sont là pour que les choses changent, parce qu’il est temps.

« On ne va parler que de ça ? », s’interroge un jeune gay au bar, qui attend de pouvoir commenter les robes. Il y a trois ans, le mouvement #AskHerMore critiquait le fait que les femmes n’étaient interrogées que sur leurs panoplies, cette année plus personne ou presque ne s’y risquerait. Sur le mur écran du lounge du VNYL, Seth Meyers, l’animateur de la soirée, déclenche des fous rires en remerciant la Hollywood Foreign Press Association (organisatrice de la cérémonie), – « les trois mots qui hérissent le plus le président Trump » – et en saluant l’année 2017, « qui a vu la marijuana enfin autorisée et le harcèlement sexuel enfin ne plus l’être ».

On blague sur Weinstein, rires gênés…

De Harvey Weinstein à Kevin Spacey, les rires se font plus gênés quand les blagues visent des personnalités qui sont déjà des cibles à tout faire. Peut-être que la critique Daphne Merkin a raison quand elle écrit dans une tribune du New York Times que beaucoup de femmes tenues à l’indignation publique sont mal à l’aise à l’idée que balancer un nom suffise à inculper. Elle y regrette aussi que toutes les accusations s’équivalent désormais – viol, harcèlement ou comportement inapproprié – et redoute une remoralisation de la vie sexuelle. « Mais si, on pourra continuer à se rencontrer, m’assure une fille au VNYL. Ce qui change tout dans des cas comme celui de Harvey Weinstein, c’est la relation de pouvoir… » Pour montrer qu’ils sont féministes, m’assure-t-elle, les mecs indiquent sur leur « dating profile » qu’ils sont anti-Trump. Plus que Weinstein, le président incarne, selon elle, le harceleur en chef. Cela dit, vu la façon dont il se vante de ses relations avec les femmes, il se serait trouvé en phase avec le thème années 1970.

Quelqu’un récapitule sur Twitter : « Imagine si, en 1994, on t’avait dit qu’en 2018, Donald Trump serait président et Tonya Harding aux Golden Globes… »

A l’écran, Nicole Kidman ramasse son prix en rappelant que le personnage qu’elle jouait représentait « quelque chose au centre de notre conversation : la maltraitance ». Ma voisine avocate m’assure que ces femmes vont encourager celles d’autres « industries » à s’émanciper. Hollywood ouvre-t-il la voie du féminisme ou en est-il la voiture balai ? Quelques jours plus tôt dans une conférence, Lydia Polgreen du Huffington Post affirmait que bien sûr la culture était en avance sur la politique, « dans les séries, on voit toutes sortes de familles, des parents gay, des personnages transgenres sans que ce soit un souci ». Puis en hésitant : « Et, en même temps, dans les comédies romantiques, les femmes journalistes n’ont l’air de n’exercer ce métier que pour trouver des maris ».

Allison Janney remplit l’écran en allant chercher son prix de meilleur second rôle féminin pour I, Tonya. Seuls les plus de 35 ans reconnaissent, assise derrière elle, Tonya Harding, la patineuse accusée en 1994 d’avoir fait péter les genoux de son adversaire Nancy Kerrigan. « Un peu bizarre le jour où on invite les femmes à s’affirmer… », dit une cliente au bar. On rit quand quelqu’un récapitule sur Twitter : « Imagine si, en 1994, on t’avait dit qu’en 2018, Donald Trump serait président et Tonya Harding aux Golden Globes… » Sur l’écran géant, la soirée s’interrompt le temps d’une pub L’Oréal. « Parce que je le vaux bien » s’affiche en grand sur le mur. En changeant un peu l’éclairage, chacun voit le féminisme à sa porte.