Editorial du « Monde ». Alors que la crise du lait infantile menace de s’étendre en Europe – un cas de salmonellose vient d’être détecté en Espagne, un autre suspecté en Grèce –, Bruno Le Maire a tapé du poing sur la table. Vendredi 12 janvier, après avoir convoqué Emmanuel Besnier, le toujours invisible président de Lactalis, le ministre de l’économie a annoncé que le leader mondial du lait devra reprendre tous les produits laitiers infantiles fabriqués sur son site de Craon (Mayenne), « quelle que soit leur date de fabrication, dans tous les lieux de commercialisation, en particulier la grande distribution et les pharmacies ». Le précédent rappel, qui courait à partir de février 2017, a été élargi. Pour autant, M. Le Maire a écarté une fermeture du site de Craon, où 250 salariés sur 327 sont déjà au chômage technique.

Révélée début décembre 2017, la contamination à la salmonelle provoquée par les produits de Lactalis – à la date du 9 janvier, en France, 37 nourrissons, âgés de 2 semaines à 9 mois, ont été atteints de salmonellose – est à l’origine de scandales à la chaîne. Le premier responsable est évidemment Lactalis, une entreprise opaque qui ne fait pas de quartier à ses concurrents et pratique le culte du secret, au point de ne pas publier ses comptes. Face au refus du géant agro­alimentaire de retirer les produits contaminés, M. Le Maire a suspendu, le 9 décembre, la commercialisation de ses laits infantiles. Lactalis fait l’objet d’une enquête préliminaire du parquet de Paris pour « blessures involontaires », « mise en danger de la vie d’autrui », « tromperie aggravée par le danger pour la santé humaine » et « inexécution d’une procédure de retrait ou de rappel d’un produit ».

Sous-estimation de la gravité de la crise

Mais le scandale sanitaire a fait tache d’huile. Les dysfonctionnements ont aussi touché la grande distribution. Au lendemain des Etats généraux de l’alimentation, qui avaient pour but de rétablir la confiance avec les consommateurs, tous les distributeurs, de Carrefour à Auchan en passant par Leclerc et Système U, qui avaient bien géré le retrait des œufs contaminés au fipronil, ont reconnu des défaillances. Toutes les chaînes ont continué à vendre des produits contaminés après leur rappel. Certaines enseignes ont tenté de se justifier, évoquant la période des fêtes, qui n’a pas permis de se concentrer sur les laits infantiles, ou encore une inflation incompréhensible dans les procédures de retrait. Le président d’Intermarché, Thierry Cotillard, s’en est pris à l’« amateurisme » de Lactalis, qui, la main sur le cœur, multiplie les excuses…

L’Etat a pris ses responsabilités. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a effectué, depuis le 26 décembre, 2 500 contrôles et en a programmé autant la semaine prochaine, pour vérifier la disparition des produits contaminés des rayons et des stocks. Mais des responsables politiques ont jugé que la DGCCRF, en raison d’une baisse de son budget et de son personnel, n’avait pas les moyens de jouer pleinement son rôle de surveillance.

Cette chaîne de dysfonctionnements résulte aussi d’une sous-estimation de la gravité de la crise, comme si on n’avait pas mesuré les effets de contamination d’un produit aussi sensible que le lait pour nourrisson. Parce que la sécurité sanitaire n’a pas de prix, il faudra renforcer les ­contrôles et les sanctions pour que de tels scandales ne se reproduisent pas. En toute transparence.