Une motion de défiance adoptée chez France 3 Auvergne-Rhône-Alpes
Une motion de défiance adoptée chez France 3 Auvergne-Rhône-Alpes
Le Monde.fr avec AFP
Quarante-six journalistes ont voté cette motion contre le rédacteur en chef et le directeur régional de l’antenne, après la suspension des reportages sur Laurent Wauquiez.
Une crise aiguë secoue la rédaction de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, en raison de la suspension d’une série de reportages consacrés à Laurent Wauquiez, président (Les Républicains, LR) du conseil régional. Vendredi 12 janvier, quarante-six journalistes ont voté une motion de défiance contre leur rédacteur en chef et le directeur régional de l’antenne. Trois s’y sont opposés, sur une liste d’émargement de soixante-et-une personnes, comprenant les journalistes permanents, des journalistes en contrat à durée déterminée et des cadres intermédiaires. Une première dans l’histoire de la chaîne régionale.
France 3 voulait faire le bilan de la gestion de M. Wauquiez à la tête de la deuxième région de France. Le tournage, confié à Sylvie Cozzolino et Thierry Swiderski, s’est déroulé en novembre 2017. Il a pris la forme de cinq sujets, prévus chaque jour de la deuxième semaine de janvier, dans les journaux de midi et du soir des trois stations, Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand. Ce programme « grande région » précédait volontairement l’émission politique du dimanche à 11 heures, dont Laurent Wauquiez était l’invité. Le premier volet de la série, sur l’ascension politique du président LR, a été monté vendredi 5 janvier, visionné puis validé par le rédacteur en chef, Laurent Mazurier, pour diffusion le lundi 8.
En raison de contraintes internes, chaque volet suivant a été finalisé le jour pour le lendemain. Lundi et mardi, ils ont été validés par un rédacteur en chef adjoint, en l’absence de Laurent Mazurier. Mais, mercredi 10 janvier, le directeur régional André Faucon s’inquiète du ton de la série. Un spécialiste des finances, non identifié, décrit un budget « rusé et habile ». Des élus parlent d’un président « brutal, menaçant, calculateur ». « Je ne m’oppose pas au fond mais la manière de traiter est vraiment trop à charge, l’effet de série est cumulatif, je préfère suspendre pour trouver un équilibre », explique M. Faucon au Monde.
Le troisième volet passe à l’antenne à midi, mais pas le soir. Dans l’après-midi, le rédacteur en chef annonce dans un email la suspension de la série : « Je considère que l’angle retenu n’est pas conforme à la commande que j’avais passée (…) Sylvie et Thierry ont réalisé un beau travail d’enquête mais notre mission de service public nous oblige à être équilibré et à donner la parole à toutes les parties. »
« L’impression d’être aux ordres »
L’entourage de Laurent Wauquiez dément alors toute intervention, et tout chantage à sa participation à l’émission politique hebdomadaire de la chaîne. En janvier 2016, l’élu avait annulé sa venue à une émission de France 3 prévue en présence de trois opposants. Nouvelle pression ? La direction de la chaîne reconnaît un entretien téléphonique avec le président de la région dans la journée de mercredi, mais à son initiative, pour caler l’enregistrement de l’émission de dimanche. Et pour évoquer un droit de réponse à la série. « Le deuxième épisode mettait en scène des éléments à charge, sans aucune trace de contradictoire », justifie l’entourage de Laurent Wauquiez. « Le déséquilibre des points de vue est un concept à géométrie variable, on ne l’applique pas quand on annonce un projet de l’exécutif régional, et c’est souvent, sans faire parler l’opposition », dit un journaliste de France 3.
« Tout cela donne l’impression d’être aux ordres, sur le terrain on se moque de nous. On veut des chefs qui nous guident, nous représentent et nous défendent, pas des gens qui ont peur de leur ombre », réagit une journaliste, regrettant : « Le travail a été validé, sans aucun accompagnement par la suite, on nous laisse en roue libre et après on hurle au scandale. » Sur ce point, Laurent Mazurier reconnaît : « Mon erreur a été de laisser un montage à flux tendu, il était trop tard pour corriger l’équilibre, j’ai préféré suspendre, j’assume, je suis responsable du système de validation. » Le rédacteur en chef réfute tout ordre venu de l’extérieur : « Si j’étais une marionnette, je n’aurais pas commandé ce sujet. Depuis neuf ans à ce poste, je n’ai jamais laissé la porte ouverte à une quelque influence politique que ce soit. »
Cette crise cristallise des inquiétudes, après une réorganisation de la chaîne calquée sur les régions administratives, et avant une possible fusion avec le réseau de France Bleu. « On a le sentiment que la chaîne peut se retrouver dépendante financièrement des collectivités, les journalistes redoutent d’y perdre le sens de leur métier, ce qui s’est passé cette semaine à Lyon est important », dit Myriam Figureau, délégué du syndicat national des journalistes (SNJ). Face au tollé, la direction de la chaîne a rétabli la diffusion de la série, dès jeudi. Assortie d’un droit de réponse d’une minute, sous forme d’interview de M. Wauquiez, dans les journaux de samedi.