Zine El-Abidine Ben Ali et sa seconde épouse, Leïla Trabelsi, le 21 mars 2006 à Tunis. / HO / AFP

C’est un avion entré dans l’histoire de la Tunisie. Le 14 janvier 2011, « Oscar Oscar », un Boeing Business Jet acheté en 1999, quittait le tarmac de Tunis pour la dernière fois. A son bord, Zine El-Abidine Ben Ali, sa seconde épouse, Leïla Trabelsi, deux de leurs enfants et un de leur gendre. Une fuite en pleine nuit qui tournait la page d’une dictature de vingt-trois ans, et la mainmise d’un clan tout-puissant sur tous les secteurs politiques, économiques et sociaux du pays.

Sept ans plus tard, malgré de multiples condamnations par contumace en Tunisie pour des chefs d’accusation aussi variés que détournement de fonds, détention d’armes et de pièces archéologiques, corruption et fraudes immobilières, la famille Ben Ali, majoritairement réfugiée en Arabie saoudite, n’est pas inquiétée par la justice. Un mandat d’arrêt international et deux demandes d’extradition ont été émis par Tunis contre l’ancien couple présidentiel. Mais, au nom de l’hospitalité, l’Arabie saoudite refuse d’extrader les ressortissants musulmans.

Peu d’apparitions publiques

En contrepartie de cette bienveillance, Zine El-Abidine Ben Ali s’est engagé à rester discret. Ses apparitions publiques sont donc rares, tout comme les images le montrant dans sa vie quotidienne à Jeddah, sur les rives de la mer Rouge, où vivent également leur fille Halima et leur fils Mohamed. En 2013, une photographie montrant l’ancien général en pyjama rayée avait été publiée par son fils sur son compte Instagram personnel, avant que celui-ci ne soit fermé sans explication.

Depuis janvier 2011, la seule prise de parole officielle de l’ancien dictateur, âgé de 81 ans, a été menée par son avocat, Me Akram Azoury. Ce dernier a nié les accusations portées contre lui par la justice tunisienne, assurant notamment que l’ancien général n’avait jamais donné « l’ordre de tirer à balles réelles sur les manifestants ».

Régulièrement, la rumeur d’une publication des mémoires de l’ancien dictateur revient dans la presse tunisienne. Selon son épouse, l’auteur du « coup d’Etat médical » contre Habib Bourguiba en 1987 est en bonne santé et en pleine possession de ses capacités mentales. Leïla Trabelsi a, quant à elle, déjà publié en 2012 un livre intitulé Ma vérité, dans lequel elle rejetait les accusations de corruption et de dérive dictatoriale du régime déchu. Souvent surnommée « la femme la plus détestée de Tunisie », elle a également donné plusieurs interviews accordées par Skype, notamment au Parisien en 2013.

Réfugiés au Canada

Certains membres du clan Ben Ali ont néanmoins connu un exil un peu plus chahuté. Après un séjour au Qatar abrégé sur ordre des autorités, la fille aînée des secondes noces du président, Nesrine Ben Ali, est partie s’installer aux Seychelles avec son mari, l’homme d’affaires Sakher El Materi. Tous deux ont été condamnés par contumace à plusieurs lourdes peines de prison notamment pour corruption, fraudes, blanchiment d’argent ou acquisition de terrains illicite.

Longtemps considéré comme le chef du clan Ben Ali, Belhassen Trabelsi, le frère de Leïla et richissime homme d’affaires, s’est réfugié au Canada. Mais sa demande d’asile ayant été refusée, l’homme s’est volatilisé. Sa femme et ses quatre enfants ont, quant à eux, obtenu le statut de réfugiés, listés comme « étrangers politiquement vulnérables ».

En revanche, ils ont été déboutés de leur demande, déposée à la Cour fédérale de Montréal, de débloquer leurs fonds bancaires pour subvenir à leurs besoins. Selon la presse canadienne, la Tunisie aurait même averti Ottawa que le déblocage des avoirs de la famille nuirait aux relations bilatérales entre les deux pays.

Pas de restitution du passeport

Enfin, une partie du noyau dur du clan Ben Ali est restée en Tunisie. Ainsi, les trois premières filles du dictateur, Ghazoua, Dorsaf et Cyrine, vivent toujours au pays. La cadette, épouse de l’homme d’affaires Slim Chiboub, se dit atteinte d’une grave maladie, et demande régulièrement le droit de sortir du pays pour avoir accès à des soins à l’étranger. Mais les autorités tunisiennes refusent la restitution de son passeport confisqué depuis 2011.

Son mari, recherché dans un premier temps pour « trafic d’influence », n’a regagné le pays qu’à la fin 2014 après un long séjour aux Emirats. D’abord incarcéré, l’homme a été libéré au bout de quatorze mois, soit la plus longue période de prison préventive. Il reste à ce jour poursuivi dans plusieurs affaires. En mai 2017, les fonds de l’homme d’affaires gelés en Suisse ont été restitués à la faveur d’un accord d’arbitrage et de conciliation.

Cyrine Ben Ali est, elle aussi, restée contrainte et forcée en Tunisie. Poursuivie dans une affaire de blanchiment d’argent, la fille de l’ancien dictateur était jusqu’en février 2015 sous le coup d’une interdiction de voyage. Son ancien mari, Marouane Mabrouk, codirigeant de la très puissante entreprise Mabrouk, occupe toujours le même poste.

Le retour des benalistes

Car si l’empire économique du clan Ben Ali, qui s’étendait de la grande distribution à l’immobilier en passant par la téléphonie, les médias ou l’automobile, a été en partie placée sous contrôle d’administrateurs judiciaires nommés par l’Etat, certains secteurs sont toujours dans l’escarcelle de la puissante famille ou de leurs proches.

Au plan politique, aucun membre de la famille Ben Ali n’a repris des fonctions de premier plan. Mais sur 43 ministres et secrétaires d’Etat du gouvernement, au moins un sur cinq a occupé un poste ministériel sous Ben Ali ou assumé une fonction dirigeante au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti unique. Le projet de loi d’exclusion – qui aurait exclu de la vie politique les personnes considérées comme des ex-soutiens de Ben Ali – n’a, finalement, jamais été voté.

Sihem Ben Sedrine : « En Tunisie, la nostalgie du régime de Ben Ali commence à disparaître »
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