Dans une boulangerie de Khartoum, le 5 janvier. / ASHRAF SHAZLY / AFP

La prospérité annoncée par le régime soudanais à la fin de l’embargo américain n’est pour l’instant qu’un mirage. Depuis la levée partielle, en octobre 2017, des sanctions imposées par les Etats-Unis depuis deux décennies, la situation économique s’est dégradée. Le régime d’Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis 1989, a en effet multiplié par trois les tarifs des droits de douane, provoquant une hausse mécanique des prix sur les produits importés, soit presque tout, à commencer par le blé, l’essence et l’électricité. Le prix du pain a ainsi doublé. L’inflation de 37 %, conjuguée à une dépréciation de la livre soudanaise face au dollar, a suscité la colère des Soudanais.

Ce sont, comme d’habitude, les étudiants qui ont manifesté un peu partout dans le pays. Craignant des mouvements d’ampleur comme en 2013 (plus de 200 morts) et en 2016, tous deux déclenchés par la hausse des prix, le régime a réagi par la force : arrestations massives d’étudiants et de deux figures de l’opposition, un jeune tué, dimanche 7 janvier, et trois autres blessés à Al-Genaïna au Darfour, confiscation de six quotidiens.

Une controverse a vu le jour la semaine dernière, après la diffusion d’une vidéo montrant Qassem Badri, le doyen de l’université Ahfad pour femmes, en train de frapper des étudiantes qui protestaient contre le prix élevé de la nourriture. L’Union européenne a exhorté, le 11 janvier, Khartoum à autoriser les manifestations pacifiques. Un appel à manifester dans tout le pays a été lancé pour mardi 16 janvier.

« Asphyxié économiquement »

Le gouvernement a tardé à présenter son budget 2018, faisant la part belle à la sécurité et la défense, au détriment de l’éducation et de la santé. Bien qu’avec une intensité moindre, les conflits se poursuivent au Darfour, au Kordofan du Sud et au Nil Bleu. L’Etat reste dépourvu de moyens, privé de la rente pétrolière depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 et des revenus tirés de l’exploitation de l’or, en grande partie exporté illégalement.

Toujours inscrit sur la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme, le Soudan ne voit pas venir les investissements escomptés. « Nous n’avons pas tiré profit de la levée de l’embargo [américain]. Les banques du monde entier sont encore réticentes à faire des affaires avec les banques soudanaises », a reconnu le ministre des finances, Mohamed Othmane Al-Rikabi.

Les aides de l’Arabie saoudite, qui a déposé un milliard de dollars (815 millions d’euros) sur le compte de la Banque centrale en 2016 en promettant une aide militaire de 5 milliards de dollars, et des Emirats arabes unis (EAU), qui ont versé 500 millions de dollars au Soudan la même année, n’ont pas suffi. « Asphyxié économiquement, le Soudan a joué la carte de l’Arabie saoudite [contre l’Iran, avec lequel il a rompu], mais a enregistré de lourdes pertes humaines au Yémen, plusieurs centaines d’hommes dans une guerre qui ne va nulle part et ne rapporte pas de fonds, constate Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris. Le Soudan semble chercher à se désengager et à se rapprocher de l’axe Turquie-Qatar, mais il est inimaginable pour Riyad et Abou Dhabi de laisser la Turquie devenir un grand acteur régional. »

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en visite à Khartoum fin décembre, a multiplié les promesses d’investissements. Le président Omar Al-Bachir a promis de céder à la Turquie la presqu’île de Suakin, un bout de terre de 70 km2, dans le nord-est du pays, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, « afin de la reconstruire », restant flou sur les contours de l’accord. Autrefois lieu de passage prisé des pèlerins en route vers La Mecque, ce territoire, parsemé de bâtiments en ruines, occupe une position stratégique sur la mer Rouge.

Bataille d’influence en mer Rouge

Cette annonce a ravivé les tensions entre le Soudan et l’Egypte, qui considère la Turquie d’Erdogan comme un soutien des Frères musulmans. Le Caire redoute l’installation d’une base militaire turque à Suakin, qui ferait suite à celle créée en Somalie en septembre. Dans cette bataille d’influence en mer Rouge, les Emirats arabes unis disposent d’un accès au port d’Assab, en Erythrée, en partie déjà militarisé et où leur allié égyptien aurait renforcé son contingent début janvier. Le 9 janvier, le président égyptien, Abdel Fatah Al-Sissi, a reçu au Caire son homologue érythréen, Isaias Afwerki.

En réaction, le Soudan a rappelé son ambassadeur au Caire et décidé la fermeture de ses frontières avec l’Egypte et l’Erythrée. Le vice-président du parti au pouvoir à Khartoum, Ibrahim Mahmoud Hamid, a confirmé jeudi « des informations sur de potentielles menaces sécuritaires de l’Egypte et de l’Erythrée ».