Editorial du « Monde ». Depuis le début de son pontificat, en mars 2013, le pape François a une parole qui bouscule son Eglise quitte à déranger ses fidèles. Il l’a encore montré, à la fin de l’année 2017, en admonestant sévèrement la curie romaine. Mais il ne dévie pas de sa route, en premier lieu dans son combat pour l’accueil des migrants. Dimanche 14 janvier, à l’occasion de la 104Journée mondiale des migrants et des réfugiés, Jorge Bergoglio, issu lui-même d’une famille d’émigrés italiens venus en Argentine, a employé des mots forts.

« Tout immigré qui frappe à notre porte, a-t-il souligné, est une occasion de rencontre avec Jésus-Christ, qui s’identifie à l’étranger de toute époque, accueilli ou rejeté. »

Le pontife romain, qui entame lundi 15 janvier un voyage au Pérou et au Chili, a fait écho aux réticences, voire au refus, de l’accueil qui s’expriment dans l’Eglise catholique :

« Les communautés locales ont parfois peur que les nouveaux arrivés perturbent l’ordre établi, volent quelque chose de ce que l’on a construit péniblement. Les nouveaux arrivés aussi ont des peurs, ils craignent la confrontation, le jugement, la discrimination, l’échec. Ces peurs sont légitimes, elles se fondent sur des doutes parfaitement compréhensibles d’un point de vue humain. »

Certaine frilosité exprimée

En avril 2016, François était rentré d’une visite sur l’île grecque de Lesbos en embarquant dans son avion trois familles de réfugiés syriens musulmans. Ce geste symbolique avait été diversement apprécié au sein de la communauté catholique. Le 14 janvier, il a réitéré avec force son appel à l’hospitalité : « Ce n’est pas un péché d’avoir des doutes et des craintes, a-t-il affirmé. Le péché, c’est de laisser ces peurs déterminer nos réponses, conditionner nos choix, compromettre le respect et la générosité, alimenter la haine et le refus. Le péché, c’est de renoncer à la rencontre avec l’autre. » Un langage qui sonne comme une mise en garde aux gouvernements européens et un rappel à l’ordre de la communauté catholique.

Depuis l’appel du pape en septembre 2015, plus de 3 000 réfugiés ont été accueillis dans les diocèses de France. De nombreux signes montrent cependant que, à la base, les catholiques manifestent une certaine frilosité. Un sondage de l’IFOP indiquait, en novembre 2016, que, si 44 % des Français se déclaraient favorables à l’accueil des migrants, les catholiques pratiquants n’étaient que 46 % à partager cet avis. C’est la crainte de voir s’incruster un islam jugé conquérant ou communautariste qui est agitée. Pour Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France, « suivant les quartiers, des personnes ont pu se sentir en insécurité culturelle ». L’archevêque de Marseille plaide pour qu’« une plus grande place soit donnée à la raison, non pas simplement aux slogans et aux peurs ».

Le souverain pontife se veut aussi pragmatique – en Birmanie, en novembre 2017, il avait défendu la cause des Rohingya sans prononcer leur nom – et reconnaît qu’« un gouvernement doit gérer le problème avec la vertu propre au gouvernant, c’est-à-dire la prudence ». Il invite les migrants à « connaître et respecter les lois, la culture et les traditions des pays qui les accueillent ». Au moment où le projet de loi « asile et immigration » fait l’objet de nombreuses critiques, jusqu’au sein de la majorité, Gérard Collomb devrait s’inspirer de l’humanisme du pape. Dans le strict respect de la laïcité.