Des affiches de campagne à Barcelone, le 20 décembre, la veille de l’élection régionale / Manu Fernandez / AP

Moins d’un mois après l’élection régionale catalanes du 21 décembre 2017, le nouveau Parlement catalan doit siéger pour la première fois mercredi 17 janvier à Barcelone, et élire à cette occasion son président et les membres de son bureau.

La formation antinationaliste Ciudadanos, arrivée en tête avec 36 députés (sur 135) et 25 % des suffrages, n’est a priori pas en mesure d’empêcher la formation d’une majorité indépendantiste. Mais Madrid, qui a placé la région sous tutelle jusqu’à l’installation d’un nouveau gouvernement, espère un renouvellement des dirigeants nationalistes afin de reprendre des relations institutionnelles « normales » avec Barcelone, enterrer la demande d’un référendum d’autodétermination et négocier un meilleur financement pour diminuer le soutien à l’indépendance en Catalogne.

Quels sont les plans des indépendantistes ?

Entre des formations divisées, les visées des partisans de l’indépendance restent floues. Ensemble pour la Catalogne (JxC), la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et la Candidature d’union populaire (CUP) ont obtenu, à elles trois, la majorité absolue des sièges dans la Chambre régionale : 70 des 135 députés (47,5 % des suffrages).

  • Ensemble pour la Catalogne

Arrivée en seconde position, derrière Ciudadanos, avec 34 députés, Ensemble pour la Catalogne (JxC) est la liste du président destitué Carles Puigdemont, lequel se définit toujours comme « le président légitime de la Catalogne en exil » depuis son départ pour la Belgique, le 27 octobre 2017. En tant que première force du bloc indépendantiste, elle entend faire pression sur la Gauche républicaine de Catalogne pour que M. Puigdemont soit investi à distance comme président de la Généralité, soit par vidéoconférence, soit par le biais d’un député à qui il aurait délégué le soin de lire son discours. Pour cela, il lui faut à tout prix obtenir le soutien de la majorité du bureau du Parlement, chargé d’interpréter le règlement pour lui permettre ou non d’être président depuis la Belgique.

  • Gauche républicaine de Catalogne

De son côté, ERC (32 députés) hésite. La formation plaide pour le « réalisme » lors de la prochaine législature et affirme renoncer à la « voie unilatérale », tout en promettant de construire la « République catalane ». Elle est réticente à l’idée de braver les services juridiques du Parlement, qui ont émis un rapport – non contraignant – s’opposant à l’investiture à distance du prochain président catalan. Mais elle ne veut pas apparaître comme la responsable de l’échec de l’investiture de M. Puigdemont, après avoir promis de tout faire pour « restaurer le gouvernement légitime » destitué par Madrid.

  • Candidature d’union populaire

Enfin, la CUP, qui a obtenu quatre députés, exige de continuer sur la voie de la désobéissance au Tribunal constitutionnel et de « l’unilatéralité » pour défendre la République catalane proclamée le 27 octobre 2017. Mais contrairement à la précédente législature, son soutien n’est plus indispensable : son abstention suffit pour que les autres formations indépendantistes gouvernent.

Quel sera le sort des élus mis en examen ?

Dix-sept élus du nouveau Parlement sont mis en examen dans le cadre de la tentative de sécession du mois d’octobre. Tant qu’ils ne sont pas sous le coup d’une condamnation ferme, ils gardent leurs droits politiques, dont celui de siéger au Parlement, sauf les trois élus en détention préventive et les cinq autres réfugiés en Belgique pour fuir la justice espagnole qui les a mis en examen pour « rébellion, sédition et malversation de fonds publics ».

  • Les trois prisonniers

Les trois élus emprisonnés près de Madrid – le président d’ERC, Oriol Junqueras, l’ancien conseiller à l’intérieur Joaquim Forn et le président de l’association indépendantiste Assemblée nationale catalane (ANC), Jordi Sanchez – se sont vu refuser par le juge du Tribunal suprême, le 12 janvier, la possibilité de se rendre au Parlement catalan pour voter, au motif de risques de trouble à l’ordre public.

Cependant, le juge a estimé que la préventive « ne peut pas supposer la modification de l’arithmétique parlementaire configurée par la volonté des urnes ». Il invite donc le bureau du Parlement catalan provisoire (formé par le député le plus âgé et les deux plus jeunes, tous d’ERC) à examiner la possibilité que les prisonniers délèguent leur vote à d’autres députés, ce qu’ils feront probablement.

  • Les cinq fugitifs ou « exilés »

En revanche, le juge a précisé que l’arrangement proposé ne concerne « pas les autres », une référence à Carles Puigdemont et ses anciens conseillers (ministres régionaux) Clara Ponsati, Lluis Puig, Toni Comin et Meritxell Serret, qui se trouvent en Belgique et sont considérés comme fugitifs par la justice espagnole. Pour le juge, ils ne pourront donc ni voter ni se faire représenter depuis Bruxelles.

Quel est l’enjeu de la composition du bureau du Parlement ?

On ne peut pas écarter que le bureau du Parlement ignore les considérations de la justice espagnole et des juristes de la Chambre régionale. Il a le dernier mot pour interpréter le règlement, déterminer comment se déroule le vote des prisonniers voire forcer celui des fugitifs, et présenter ou pas Carles Puigdemont à la présidence de la Généralité lors de la session d’investiture, prévue entre le 29 et le 31 janvier.

Lors de la précédente législature, le bureau du Parlement – indépendantiste – a ignoré à plusieurs reprises les rapports des services juridiques du Parlement catalan et les décisions du Tribunal constitutionnel, et a joué un rôle clé dans le vote des lois indépendantistes.

Cependant, les élus connaissent les possibles conséquences pénales de leurs actes et peu sont prêts à en prendre le risque. L’ancienne présidente du Parlement Carme Forcadell, mise en examen, a d’ailleurs renoncé à se présenter de nouveau au poste…

Les indépendantistes risquent-ils de perdre leur majorité ?

C’est peu probable. Si les cinq élus fugitifs ne peuvent pas voter et ne sont pas remplacés par les suivants sur les listes, les indépendantistes perdront certes leur majorité absolue au Parlement régional. Avec 65 députés, ils seraient alors à égalité avec les partis qui ne sont pas clairement indépendantistes.

Mais la position des huit élus du parti de la gauche radicale Catalogne en commun-Podem, opposés à l’indépendance unilatérale mais aussi à la mise sous tutelle, leur permettrait de maintenir la majorité simple. La formation de la maire de Barcelone, Ada Colau, s’est en effet déclarée opposée à l’investiture du candidat de Ciudadanos, que ce soit pour présider le bureau du Parlement ou la Généralité. Les indépendantistes espèrent l’obliger à prendre position dans l’élection de dirigeants indépendantistes, ou en tout cas à assumer une part de responsabilité.

Que ferait Madrid si M. Puigdemont était réinvesti ?

Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a été clair, le 15 janvier, lors d’une réunion avec la direction du Parti populaire : « Dans le cas supposé où on prétendrait que M. Puigdemont assiste à un débat d’investiture depuis Bruxelles, le gouvernement déposerait un recours immédiat. »

Et, a-t-il ajouté, dans l’« hypothèse impossible » qu’il soit élu président de la Généralité depuis Bruxelles, il devra prendre ses fonctions « et cela doit se faire physiquement ». « S’il ne le fait pas, l’article 155 [celui de la mise sous tutelle de la région] restera en vigueur, non pas parce que je le dis moi, mais parce que le Sénat a décidé que l’article 155 resterait en vigueur jusqu’à la prise de possession de son mandat par le nouveau président après les élections en Catalogne », a rappelé M. Rajoy.

Afin d’éviter un blocage, les indépendantistes pourraient donc décider de présenter un autre candidat pour la présidence effective de la Généralité, quitte à donner un titre symbolique à M. Puigdemont. Un blocage pourrait déboucher sur la tenue de nouvelles élections, au printemps.