Manifestation contre la visite du pape François, à Santiago du Chili, le 16 janvier. / EITAN ABRAMOVICH / AFP

Les enfants agressés ou violés par des prêtres ont été au cœur du premier discours du pape François après son arrivé à Santiago, lundi 15 janvier, pour une visite d’une semaine au Chili et au Pérou. « Je ne peux m’empêcher de manifester la douleur et la honte que je ressens face au mal irréparable fait à des enfants par des ministres de l’Eglise », a déclaré le chef de l’institution catholique devant les autorités politiques et sociales, mardi au palais de la Moneda, le siège de la présidence chilienne. « Je voudrais m’unir à mes frères dans l’épiscopat, car s’il est juste de demander pardon et de soutenir avec force les victimes, il nous faut en même temps nous engager pour que cela ne se reproduise pas », a-t-il ajouté, interrompu par des applaudissements.

La colère et les attentes avant sa venue étaient également élevées, tant les scandales de pédophilie ébranlent depuis des années l’Eglise et la société chiliennes, et éclaboussent aussi le pontife argentin. Le plus retentissant d’entre eux a pour origine les agissements d’un prêtre chilien, Fernando Karadima. De sa paroisse de Santiago, proche des autorités politiques, celui-ci a, pendant des décennies, formé des générations de jeunes catholiques, dont beaucoup sont devenus prêtres et certains évêques, en même temps qu’il agressait sexuellement des mineurs.

Pendant des années, l’Eglise a ignoré les plaintes de victimes. Ce n’est qu’en 2010, lorsque certaines d’entre elles ont publiquement dénoncé les faits, que le scandale l’a poussée à s’en préoccuper. En 2011, au terme d’une procédure canonique, Fernando Karadima a été reconnu coupable d’actes pédophiles dans les années 1980 et 1990, et a été contraint à se retirer pour une vie de « pénitence et de prière ». L’Eglise avait aussi demandé pardon pour tous les cas d’abus sexuels sur des enfants commis par des membres du clergé et pour son manque de réactivité face aux plaintes par le passé.

« Processus de transformation »

L’affaire a connu une nouvelle impulsion quand, en janvier 2015, le pape François a nommé Mgr Juan Barros, l’un des protégés de M. Karadima, à la tête du diocèse d’Osorno, dans le sud du pays. Or, les associations de victimes d’Osorno accusent Mgr Barros d’avoir couvert les agissements de son ancien mentor. Depuis lors, elles organisent dans son diocèse des manifestations de protestation et ne cessent de demander à Rome sa destitution. Ce à quoi François s’oppose résolument, jugeant la contestation dans ce diocèse « bête », infondée et politiquement manipulée par « les gauchistes ».

Lors d’une homélie, mardi, le pape a rejeté les « attitudes critiques » de « ceux qui croient tout savoir mais ne veulent s’engager à rien ni avec personne, et finissent ainsi par bloquer toute possibilité de créer des processus de transformation et de reconstruction dans nos communautés ».

Fait sans précédent dans un voyage du pape François, l’hostilité d’une partie de l’opinion chilienne à l’endroit de l’Eglise catholique s’est matérialisée, mardi, par l’attaque de trois nouvelles églises, portant à neuf le nombre d’édifices touchés ces derniers jours par des départs de feu. Deux des dernières attaques ont eu lieu dans l’Etat d’Araucania, la Patagonie chilienne, où François devait se rendre mercredi à la rencontre des communautés indigènes mapuches, qui réclament la restitution de territoires appartenant, selon eux, à leurs ancêtres. Dans son discours aux autorités, le pape a évoqué les « droits » des « peuples autochtones ».

« Renforcer notre voix »

Avec 5,3 points sur une échelle de 10, le Chili est le pays d’Amérique latine où le pape est le moins populaire, le Paraguay étant en tête avec 8,3 points, selon l’organisme Latinobarómetro. La confiance des Chiliens dans l’Eglise, elle, est passée de 61 % en 2010 à 38 % en 2011, après la médiatisation de l’affaire Karadima.

Lundi, jour de l’arrivée du pontife sur le sol chilien, les représentants de plusieurs associations de victimes de prêtres pédophiles s’étaient donné rendez-vous à Santiago pour échanger sur leurs expériences, et envisager la création d’une fédération internationale capable de peser face à l’Eglise. L’un des porteurs de ce projet est François Devaux, cofondateur de La Parole libérée, association fondée à Lyon par des victimes du père Bernard Preynat, mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur de jeunes garçons avant 1991. « Aujourd’hui, l’Eglise fait face, pays par pays, à des associations morcelées, explique-t-il. Cette organisation devrait pouvoir renforcer notre voix. » Elle pourrait aussi « apporter de la crédibilité aux petites associations, souvent bien seules à leur naissance ».