Les utilisateurs de Facebook verront désormais davantage les publications de leurs « amis » et de leur « famille », au détriment des publications des « pages ». / Dado Ruvic / REUTERS

Diminuer la portée des contenus postés par les « pages Facebook » (celles des médias, entreprises, associations, institutions publiques…) et mettre en avant les publications de ses « amis ». La nouvelle stratégie de Facebook, annoncée vendredi 12 janvier par son fondateur, Mark Zuckerberg, pose de nombreuses questions, notamment sur la portée des informations diffusées par les médias sur la plate-forme. Mais elle est cohérente avec ce que cherche à faire le dirigeant de Facebook avec les deux milliards d’utilisateurs de son réseau social, qui est résumé dans le slogan officiel de l’entreprise : « Ensemble, rapprocher le monde ».

1. Etre moins confronté à ce qu’on n’aime pas

Pour « rapprocher » les utilisateurs de Facebook entre eux, il est plus facile de les mettre face à ce qui les conforte, ce avec quoi ils sont d’accord, ou des éléments consensuels de la vie quotidienne. C’est le principe des bulles de filtre, critiquées depuis plusieurs années, car elles tendent à diminuer la découverte par les internautes d’idées ou de faits avec lesquels ils peuvent ne pas être d’accord.

Les dernières annonces de Mark Zuckerberg prouvent que, loin d’être un problème pour Facebook, ces bulles sont perçues comme une solution pour améliorer la « protection de la communauté Facebook ». Une priorité que le patron avait réaffirmée en novembre dernier, au terme d’une année où les accusations avaient déferlé sur le réseau social, notamment celle d’avoir favorisé l’élection de Donald Trump en propageant massivement de « fausses informations ». Au point que Facebook a dû s’en expliquer devant le Congrès américain.

Comme sur tout espace en ligne, les équipes de Facebook ont également été confrontées à d’épineux problèmes de modération de contenus haineux ou terroristes (288 000 messages Facebook ont été classés en tant que hate speech en juin 2017). « Il n’existe pas de filtre magique qui supprimera ces contenus », expliquait alors Monika Bickert, directrice des politiques publiques de Facebook. Mais il est possible de les rendre moins visibles pour l’utilisateur. En donnant une plus grande visibilité aux publications des contacts, par rapport à celles de « pages » qui obéissent à d’autres logiques (donner de la visibilité à une marque, à une cause, à une information…), le patron du réseau social réaffirme qu’il souhaite construire un espace où la majorité des gens ne seront pas exposés à des contenus problématiques. Il notait ainsi dans un long manifeste, publié en février 2017 :

« Donner à tous le moyen de s’exprimer a toujours été très positif pour le débat public, car cela accroît la diversité des idées partagées. Mais l’année 2016 a pu aussi démontrer que cela pouvait fragmenter notre sens commun des réalités. Facebook a la responsabilité d’en amplifier les bons effets et d’en réduire les mauvais. »

Ses annonces du 12 janvier écrivent la suite de l’histoire, quitte à augmenter l’épaisseur de la bulle de filtre :

« Récemment, nous avons reçu des signaux de notre communauté qui montrent que les contenus publics – les posts Facebook diffusés par les entreprises, les marques et les médias – rendent moins visibles les moments personnels qui contribuent pourtant à nous connecter. »

2. Faire revenir l’écrit et la parole des utilisateurs au sein de Facebook

Facebook, né en 2005, est vieux. Son fil d’actualité (newsfeed) a été lancé en 2006 et son développement a participé à la popularisation des réseaux sociaux à la fin des années 2000, lorsqu’on retrouvait sur Facebook, depuis son ordinateur, ses camarades de classe.

Aujourd’hui, comme le note Vincent Glad dans Libération, une bonne partie de « la vie quotidienne, banale et infra-ordinaire, vrai pétrole des réseaux, est partie sur Snapchat et Instagram ». On pourrait rajouter des services comme WhatsApp ou Messenger – détenus par Facebook et conçus pour les smartphones –, devenus la porte d’entrée privilégiée des réseaux sociaux.

Résultat : les utilisateurs de Facebook écrivent moins et oublient de publier et d’interagir sur leur profil. Rendre prioritaires les publications des proches est une manière de résoudre ce problème et de réhabiliter Facebook comme le lieu où l’on communique avec ses proches.

Ces efforts coïncident avec les nouveaux outils sur lesquels Facebook met l’accent. Depuis l’été 2017, Facebook veut ressusciter les « groupes Facebook », ces forums thématiques publics ou fermés dans lesquels les utilisateurs de Facebook peuvent participer à des projets ou discuter de sujets qui les passionnent. Mark Zuckerberg aimerait qu’à terme « un milliard » d’utilisateurs de Facebook participent à des groupes. Au même moment, Facebook a permis aux marques et administrateurs de pages de lancer eux-mêmes des groupes Facebook et inciter leurs « fans » à prendre part à de nouveaux types de conversations, dans ces espaces fermés.

3. Récolter davantage de données

En incitant à échanger davantage avec ses amis, sa famille, ou au sein de groupes de discussion autour d’un réel intérêt (série, film, association, ville où on habite…), Facebook veut que nous parlions davantage de ce qui nous passionne : nos enfants, nos amis, les sports que nous pratiquons, les causes sociales ou les produits culturels qui nous concernent…

Pour les algorithmes Facebook, voir un utilisateur discuter avec ses amis ou poster de nombreux commentaires dans un groupe dédié au dernier épisode de Game of Thrones donne davantage d’informations utiles aux publicitaires qu’une simple consultation passive d’un contenu proposé par une page. Il s’agit d’une mine d’or en termes d’expression des intérêts des utilisateurs. De quoi alimenter les bases de données de Facebook amassées sur chaque profil et améliorer la pertinence des publicités ciblées qu’il offre aux annonceurs.

4. Gagner plus d’argent avec la sponsorisation

En privilégiant les contenus partagés par les « amis » et la « famille », Facebook va rendre moins visibles les publications des pages d’institutions publiques et privées. Ce problème de la diminution du reach (la portée des publications) est ancien. Depuis des années, les professionnels des réseaux sociaux s’en inquiètent et tentent d’optimiser leurs contenus pour pallier la baisse de visibilité (que Facebook avait déjà annoncée, par exemple, en 2016).

Ces derniers auront une solution simple pour continuer à être visibles : payer une publicité et « sponsoriser » le contenu de leur page pour l’afficher auprès de certaines audiences au sein de Facebook (on parle ici des contenus qui s’affichent dans les fils d’actualité, que l’utilisateur soit abonné à la page émettrice de la publication ou non). Une manière pour Facebook de continuer à engranger davantage d’argent grâce à son réseau de publicités ciblées, qui lui a rapporté 10,3 milliards de dollars au troisième trimestre 2017.