La police danoise voulait envoyer un message. Il aurait difficilement pu faire plus de bruit. Lundi 15 janvier, 1 004 jeunes Danois, dont 80 % sont des garçons, ont été informés qu’ils étaient visés par une enquête pour distribution de pédopornographie. Ils ont entre quinze et une vingtaine d’années et résident dans tout le royaume, y compris au Groenland pour l’un d’entre eux. La police leur reproche d’avoir partagé sur Messenger, le service de messagerie de Facebook, deux vidéos et une photo montrant un acte sexuel entre deux jeunes de quinze ans au moment des faits.

Les vidéos ont pour la première fois fait surface en 2015. À l’époque, deux garçons, présents au moment de leur enregistrement, avaient été condamnés à payer une amende, pour les avoir distribués. La jeune fille y figurant avait affirmé qu’elle était consentante et qu’elle savait qu’elle était filmée, mais n’avait pas donné son accord pour que les vidéos soient partagées.

Convoqués par la police

L’affaire a pris un nouveau tournant lorsque Facebook a contacté le National Center for Missing and Exploited Children aux États-Unis, qui a alerté les autorités américaines. Saisis par Europol, les enquêteurs danois ont passé des mois à identifier les internautes concernés, dans le cadre de l’opération baptisée « Umbrella ». « C’est une affaire très vaste et complexe, qui a exigé énormément de temps », a expliqué l’inspecteur Lau Thygesen, en charge de l’affaire, affirmant qu’elle avait été prise au sérieux, « car elle a des conséquences importantes pour les personnes concernées, quand un tel contenu est diffusé. Et cela doit cesser. »

Les 1 004 jeunes ont tous été convoqués par la police : les moins de 18 ans, avec leurs parents ; les plus âgés, directement, par email. La loi prévoit jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour la distribution de contenu pédopornographique et six ans pour les cas les plus graves. « Mais dans la pratique, les condamnations tournent autour de vingt jours de prison avec sursis », commente l’avocate Miriam Michaelsen, qui a fondé l’association Digitalt Ansvar (« responsabilité numérique », en français).

Certains des jeunes n’ont partagé les documents qu’à une seule reprise ; d’autres, plusieurs centaines de fois. Selon le quotidien Politiken, dix d’entre eux – cinq dans la province du Jutland et autant dans la région de Copenhague – devraient rapidement passer devant un juge, afin de déterminer le niveau des peines encourues.

Sérieuses conséquences

Tous risquent cependant une inscription sur leur casier judiciaire, jusqu’à dix ans, qui pourrait avoir de sérieuses conséquences, précise Flemming Kjærside, commissaire au Centre national contre la cybercriminalité (NC3) : « Cela veut dire que vous ne pouvez pas obtenir d’emploi dans un jardin d’enfant ou être entraîneur de foot. Si les autorités américaines en sont informées, cela peut aussi poser problème pour entrer aux États-Unis. »

Certains avocats critiquent la volonté de faire un exemple et contestent la qualification de « pornographie enfantine », assurant qu’il est impossible de déterminer l’âge des protagonistes sur la vidéo. Ils exhortent les jeunes à recourir aux services d’un conseiller juridique.

Les ONG au contraire applaudissent. Depuis 2013, le nombre de plaintes pour diffusion illégale de contenu à caractère privé a presque quadruplé. L’intérêt des jeunes pour le sexe et la pornographie n’est pas nouveau, note Kuno Sorensen, psychologue auprès de Save the children. Mais les réseaux sociaux, « en permettant de partager n’importe quoi avec n’importe qui », ont changé la donne, nourrissant « une curiosité pour des vidéos qui mettent en scène des jeunes de leur âge, avec lesquels ils peuvent s’identifier ».

Beaucoup savent que les partager est illégal, mais sont convaincus que la police ne prend pas ce genre d’affaires au sérieux. L’opération Umbrella vise à les détromper. « Si nous parvenons à faire réfléchir à deux fois ceux qui pensaient agir en toute impunité, alors cela aura un impact », estime Miriam Michaelsen. Elle évoque aussi un « signal fort » pour les victimes leur montrant qu’« elles ont été entendues ».