Récolte d’huile de palme en Indonésie, en avril 2016. / KHARISMA TARIGAN / AFP

L’huile de palme, nous la consommons presque autant dans nos assiettes et nos produits cosmétiques que dans nos moteurs. Sa production est désormais destinée à 46 % au secteur des transports et la tendance à la hausse s’accélère depuis le début des années 2000. C’est donc sous sa forme d’agrocarburant qu’elle est revenue au menu du Parlement européen mercredi 17 janvier. Celui-ci s’est majoritairement déclaré, à main levée, pour « l’élimination progressive » de cet usage sur le territoire de l’Union d’ici à 2021.

Le 4 avril 2017, les eurodéputés avaient déjà adopté une résolution invitant la Commission européenne « à prendre des mesures pour faire progressivement cesser l’utilisation dans les biocarburants d’huiles végétales qui entraînent la déforestation, y compris l’huile de palme, de préférence d’ici à 2020 ». Cette fois, ils se sont prononcés en séance plénière dans le cadre de la révision de la directive sur l’énergie produite à partir de sources renouvelables (RED-2) pour la période 2021-2030.

Cependant, comme pour leur vote en faveur de l’interdiction de la pêche électrique de la veille, mardi 16, leur décision de contenir l’huile de palme aux secteurs de l’alimentation, des savons, bougies et cosmétiques, va à présent être soumise à d’épineuses négociations entre Parlement, Commission et conseil des ministres européens dans le cadre d’un trilogue. Le dernier conseil des ministres de l’énergie, en décembre, ne s’était pas saisi de ce dossier.

Energie verte à promouvoir au nom de la lutte contre le changement climatique ou facteur redoutable de déforestation et donc d’émission accrue de gaz à effet de serre ? Tout dépend des éléments que l’on prend en compte dans les calculs de carbone libéré. Si l’on intègre le changement d’affectation des terres qui passent actuellement à grande vitesse du rang de tourbières ou de cultures vivrières à celui de plantation. Un travail d’analyses commandé par Bruxelles (l’étude Globiom menée par l’International Institute for Applied Systems Analysis), publié en 2016, estime ainsi que les émissions d’huile de palme peuvent se révéler trois fois pires que celles des carburants fossiles. Cette question fait l’objet de lobbying intense.

« Cultures vivrières »

De pressions commerciales aussi. Mardi 16, à la veille de la décision du Parlement européen, plusieurs centaines de planteurs malaisiens manifestaient préventivement en faveur de cette huile végétale qui a certes totalement bouleversé la physionomie de leur territoire, mais qui ferait vivre, plaident-ils, 3,2 millions de personnes. Ce n’est pas la première fois que le pays – qui fournit 85 % de la production mondiale avec l’Indonésie – se mobilise contre les tentatives européennes de revoir ses importations à la baisse.

Le vote des eurodéputés réjouit au contraire les défenseurs de l’environnement. Il « envoie un message clair à l’industrie des biocarburants : la croissance ne peut venir que de carburants avancés durables tels que les biocarburants à base de déchets, et non des cultures vivrières, s’est ainsi félicité Laura Buffet, chargée de campagne pour Transport et environnement. Ce compromis (…) élimine le biodiesel à base d’huile de palme, le biocarburant le plus émetteur [de gaz à effet de serre]. »

En avril 2009, la première directive européenne RED-1 misait sur les agrocarburants comme alternative aux combustibles fossiles. Depuis, la Commission européenne a revu sa position : en 2016, elle a proposé de limiter à 3,8 % la part des biocarburants de première génération dans les transports d’ici à 2030, et non plus à 6,7 % (7 % en France). Ces combustibles comprennent l’éthanol obtenu à partir de la distillation de sucres provenant de différentes cultures : blé, maïs, betterave, canne à sucre ; et le biodiesel à base d’huiles végétales mélangées au gazole.

« Résolution contraignante »

A elle seule l’huile de palme représente un tiers de la production mondiale d’oléagineux végétaux. Elle a pour elle des qualités appréciables : d’une culture assez simple à maîtriser dans les régions tropicales, peu chère, elle est en outre facile à travailler pour l’industrie. De quoi susciter l’enthousiasme des milieux économiques. Mais les images impressionnantes de régions entières métamorphosées en plantations géantes ont marqué l’opinion publique. Et les défenseurs de l’environnement n’ont eu de cesse ces dernières années de dénoncer les répercussions catastrophiques sur la biodiversité, en particulier sur la perte d’habitats des orangs-outans, la destruction de zones humides, les brûlis dégageant des fumées touchant des dizaines de millions de personnes jusque chez les voisins de l’Indonésie et de la Malaisie, sans compter l’expropriation de populations locales.

Les consommateurs européens n’y sont insensibles. « En Norvège, nous avons mené une campagne assez agressive, rapporte Lorelou Desjardins, de l’ONG Rainforest Foundation Norway, et nous avons observé en un an une baisse de 66 % de la consommation d’huile de palme dans l’alimentation. » La militante est surtout satisfaite de rapporter que deux des quatre principaux distributeurs du pays ont annoncé qu’ils ne vendraient plus de biocarburant à base d’huile de palme. « Les villes d’Oslo et de Bergen ont décidé de ne plus en accepter dans le cadre de leurs marchés publics dans le secteur des transports et le Parlement a voté en juin, une résolution contraignante en ce sens », poursuit-elle.

De son côté, la France – qui a tenté en vain de taxer l’huile de palme autant que les autres oléagineux – est dans une situation plus compliquée. Les producteurs d’éthanol de l’Hexagone ne voudraient pas voir tous les agrocarburants – les tropicaux et les locaux – rejetés dans la même catégorie. Par ailleurs, le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, s’est à plusieurs reprises déclaré prêt à lutter contre « la déforestation importée ». Il a même inscrit en 2017 dans son plan climat sa volonté d’élaborer d’ici à mars une « stratégie nationale » afin de cesser de faire venir des « produits forestiers ou agricoles importés contribuant à la déforestation ».

L’échéance semble plutôt se reporter au mois de juin. Paris devrait à ce moment-là organiser un forum pour clore sa présidence des déclarations d’Amsterdam – le nom des engagements pris en décembre 2016 aux côtés de l’Allemagne, du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de l’Italie, pour faire en sorte que les chaînes d’approvisionnement agricole en Europe ne se soldent pas par un défrichement catastrophique sur d’autres continents. Pour y parvenir, les sept pays signataires promettent de soutenir les efforts du secteur privé vers un objectif de déforestation nulle d’ici à 2020, autrement dit misent sur le développement de productions labellisées durables.

Peine perdue selon les ONG. « La certification ne règle rien, estime Sylvain Angerand, coordinateur de campagne pour les Amis de la terre. Elle ne fait que déplacer le problème sur les parcelles voisines. Face à une demande grandissante à l’échelle mondiale, les plantations vertueuses n’y suffiront pas. »