Le président français Emmanuel Macron (à gauche) et la première ministre britannique Theresa May à l’Elysée, le 12 décembre 2017. / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

« Pendant les travaux du Brexit, l’Entente cordiale franco-britannique continue. » Tel est en substance le message que souhaitent adresser Theresa May et Emmanuel Macron à l’occasion du 35e sommet franco britannique qui doit se tenir jeudi 18 janvier après-midi à l’académie militaire royale de Sandhurst, au sud-ouest de Londres. Organisé sur une base régulière, ce « sommet » d’ordinaire routinier attire particulièrement l’attention cette année en raison de l’enjeu migratoire de Calais et, plus généralement, d’un contexte lourd d’incertitudes. L’avenir des relations entre le Royaume-Uni et le continent dépend de difficiles négociations avec Bruxelles dont l’enjeu clé – les relations économiques et commerciales après le Brexit fixé au 29 mars 2019 – n’a pas commencé à être abordé.

Célébrer la coopération franco-britannique en pleine procédure de divorce de Londres avec l’UE suppose une certaine flexibilité diplomatique. On peut faire confiance aux deux dirigeants pour faire assaut d’amabilités. On peut aussi les créditer de certaines arrière-pensées : Theresa May, qui a perdu sa majorité au Parlement de Westminster en juin 2017 et dirige un gouvernement divisé sur l’Europe, n’est pas perçue à Paris comme en situation de force. Elle pourrait chercher à se ménager les bonnes grâces d’un voisin qui pèse lourd dans la négociation du Brexit.

L’homme fort de l’Europe

Dans un climat marqué par l’éloignement de l’ami américain – Donald Trump vient d’annuler sa visite prévue à Londres –, le Royaume-Uni cherche paradoxalement à renforcer ses liens avec le continent européen. Constatant « l’incertitude que l’administration Trump a généré dans l’ordre du monde existant », le Telegraph, quotidien conservateur et europhobe conseille à Mme May d’« établir le cadre d’une nouvelle ère post-Brexit de la coopération franco-britannique »

Le renforcement de l’UE dont le président français se veut le champion est aux antipodes du Brexit et M. Macron est soupçonné à Londres de vouloir utiliser celui-ci pour ponctionner au profit de Paris le maximum d’emplois et d’institutions financières de la City. Pourtant, le président français est perçu au Royaume-Uni comme l’homme fort de l’Europe, au moins pendant qu’Angela Merkel est occupée à constituer un gouvernement.

Le sommet de Sandhurst doit officialiser le geste français hautement symbolique et salué par la presse britannique du prêt de la tapisserie de Bayeux, annoncé mercredi 17 janvier. La diplomatie culturelle du président Macron est destinée à contredire ceux qui, au Royaume-Uni, l’accusent de vouloir « punir » le pays pour le vote du Brexit. Les quelques avancées attendues de la réunion de jeudi sur les principaux sujets de coopération – immigration et défense – devraient donner l’image d’un couple franco-britannique toujours uni en dépit de leur querelle de famille européenne.

Renégociation des accords du Touquet

Emmanuel Macron a renoncé à demander la renégociation des accords du Touquet de 2003, qui font peser sur la France la gestion de l’entrée au Royaume-Uni en permettant aux douaniers et policiers de sa majesté d’opérer sur le sol français. Lui qui promettait en mars 2016 que, en cas de Brexit, « les migrants ne seraient plus à Calais », autrement dit que la frontière serait reportée du côté britannique, devrait présenter comme un succès la signature d’un nouveau traité « complétant » les accords du Touquet maintenus en l’état. Ce texte, qui devra être adopté par les deux Parlements, prévoit un examen accéléré par les autorités britanniques des demandes d’asile pour les mineurs isolés et ceux qui peuvent prétendre au regroupement familial au Royaume-Uni. Des catégories protégées que les Britanniques rechignent jusqu’à présent à admettre.

Emmanuel Macron a fini par se ranger à l’analyse qui prévalait du temps de François Hollande, selon laquelle un report de la frontière à Douvres créerait un appel d’air et générerait des flux d’immigration plus importants pesant encore davantage sur Calais. Outre ce nouveau traité, Paris attend de Londres, une aide financière au développement économique du Calaisis où est de fait sous-traitée la gestion des entrées sur le sol britannique.

Lutte contre le terrorisme au Sahel

En matière militaire, la coopération franco-britannique est institutionnalisée depuis 2010 par les accords de Lancaster House. Les deux pays ont en commun de posséder une forte industrie d’armement et de disposer, seuls en Europe, de la dissuasion nucléaire. Theresa May et Emmanuel Macron devraient annoncer des projets communs en matière de drone sous-marin anti-mines et réaffirmer leur engagement dans le projet de drone de combat franco-britannique FCAS. Mais Paris attend surtout une annonce britannique d’appui dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Selon le Times, Londres pourrait fournir des hélicoptères Chinook à la force française Barkhane opérant notamment au Mali. En contrepartie, la France renforcerait son soutien à l’unité britannique basée en Estonie dans le cadre de l’OTAN et destinée à dissuader une agression russe.

Mais, alors qu’Emmanuel Macron renforcer l’Europe de la défense avec son « initiative européenne d’intervention », le cadre – bilatéral ou européen – dans lequel va se poursuivre la coopération avec les Britanniques demeure incertain. Theresa May souhaite rester engagée aux côtés de l’Union européenne en matière de défense et bénéficier du Fonds européen de défense. Mais les conservateurs estiment en même temps que c’est l’OTAN et non l’UE qui doit protéger le continent. Dans ce domaine comme dans d’autres – la recherche nucléaire aujourd’hui coordonnée par Euratom par exemple –, tout dépend du résultat des futures négociations entre Londres et les 27. Difficile donc de célébrer la coopération bilatérale lorsque la plupart des domaines où elle se pratique sont eux-mêmes des enjeux dans la négociation du Brexit.