Tribune. Lundi 22 janvier, l’Eurogroupe, le conseil des ministres des finances de la zone euro, ouvre le bal du renouvellement des dirigeants de la Banque centrale européenne (BCE). Pour rappel, la BCE est dirigée par son directoire, composé de six membres nommés pour huit ans et non renouvelables. Ce sont eux qui préparent les décisions, généralement avalisées par le Conseil des gouverneurs qui inclut, en plus du directoire, les gouverneurs de toutes les banques centrales de la zone euro. Les dirigeants de la BCE sont nommés par les chefs d’Etats et de gouvernements sur recommandation de l’Eurogroupe.

Dans les deux ans qui viennent, quatre des six membres du directoire de la BCE vont achever leur mandat. Le premier remplacement aura lieu dans les semaines qui viennent. Or les candidats sont rares, conditionnant l’ensemble des nominations qui vont suivre. La prochaine nomination aura une influence importante sur celles qui suivront, en raison de règles tacites de répartition géographique Nord-Sud au sein de la zone euro. La démocratie européenne étant encore à ses balbutiements, le Parlement européen ne peut arrêter ce train : il donne seulement un avis consultatif et son poids reste faible en pratique.

« Les personnes devraient être nommées en fonction de leurs compétences et non
en fonction de précaires équilibres géographiques ou politiques ».

C’est pourquoi nous pensons que les quatre processus de nomination à venir devraient
être les plus transparents et les plus ouverts possibles, avec pour but de nommer les
personnes en fonction de leurs compétences et non en fonction de précaires équilibres
géographiques ou politiques.

Si le mandat de la BCE est d’assurer la stabilité des prix et la stabilité financière, en pratique elle a un rôle beaucoup plus large dans l’économie, la stabilité financière et le bien-être des citoyens européens. Mais la politique monétaire et les questions financières sont des questions arides et techniques qui ne mobilisent pas les opinions publiques. Elles ne semblent pas non plus au cœur des préoccupations des gouvernements, qui sont tentés de considérer les nominations à la BCE comme faisant partie du jeu habituel de partage des postes de prestige international.

Un travail crucial et hautement technique

Pourtant, après l’expérience dévastatrice de la crise de la zone euro, il devrait être évident que ces nominations sont d’une très grande importance : sans la BCE, la zone euro aurait connu une crise encore plus dramatique, ou aurait explosé. Ceux qui ont connu l’inflation à deux chiffres des années 1980 devraient aussi se rappeler que les banques centrales ont souvent failli par le passé.

Or, précisément parce que le travail de la BCE est hautement technique, ceux qui en ont la responsabilité doivent être des experts parfaitement qualifiés. Ils doivent être au fait des connaissances les plus pointues sur la monnaie et ses effets économiques, et ils doivent comprendre comment fonctionnent les marchés financiers. Durant la crise financière, on a vu les banques centrales innover sur tous les fronts, mettant à profit ce type de connaissances. Les conséquences de cette crise ont été profondes, avec son cortège de chômeurs et la montée des inégalités, suivies de la montée des populismes, mais cela aurait pu être bien pire !

Penser aux femmes

Les chefs d’Etat et de gouvernement ont nombre de dossiers urgents à traiter et cette question pourrait ne pas leur paraître primordiale. Ce serait une erreur. Le mandat des membres du Conseil exécutif est de huit ans. Durant ces années, bien des choses peuvent se produire et il est essentiel de savoir que la BCE est entre des mains hautement compétentes. Ce n’est pas parce que l’enjeu – la survie à long terme de l’euro, tout simplement – est distant qu’il n’est pas crucialement important.

Heureusement, l’Europe ne manque pas d’experts de haut niveau. La plupart d’entre eux ne fréquentent pas nécessairement les allées du pouvoir. Il faut les identifier là où ils sont, y compris en pensant aux femmes puisqu’une seule (sur six) est actuellement en poste. Enfin, il faut traiter la question de manière ouverte, en s’entourant d’avis compétents. Avoir le bon passeport au bon moment ne peut pas servir de critère principal.

Signataires : Charles Wyplosz, professeur d’économie à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève (Suisse), Thomas Philippon, professeur d’économie à la NYU Stern (Etats-Unis), Pierre-Olivier Gourinchas, professeur d’économie à l’université de Berkeley (Etats-Unis), Jacques Delpla, chercheur associé à l’Ecole d’économie de Toulouse, et Agnès Bénassy-Quéré, professeur d’économie à l’Ecole d’économie de Paris.