Comment mettre derrière soi des années noires de difficultés, d’échecs commerciaux et de démêlés judiciaires ? Après avoir subi une restructuration complète, Areva arrive à la fin de son douloureux lifting : le groupe a décidé de changer de nom. Depuis mardi 23 janvier, Areva n’existe plus et devient Orano, une appellation dérivée du nom latin du dieu Uranus, qui a donné son nom à la planète puis à l’uranium. Le nom sera décliné en jaune, à l’image du yellowcake, le concentré d’uranium.

Tout un symbole pour un groupe qui est désormais recentré sur les métiers du combustible nucléaire. La direction de l’ancien fleuron de la filière nucléaire française a choisi Orano parmi plus de 200 noms en compétition. L’objectif : acter la fin d’Areva tel qu’il avait été conçu par Anne Lauvergeon.

Un groupe scindé en trois

Pour comprendre la nécessité de cette nouvelle identité, il faut remonter le fil de la crise qu’a traversée l’ancien fleuron de la filière nucléaire française ces dernières années.

Depuis 2012, Areva a connu une descente aux enfers que rien ne semblait pouvoir arrêter : à la crise de 2008 et à la catastrophe de Fukushima, au Japon, sont venus s’ajouter des investissements hasardeux, la coûteuse déroute du chantier de l’EPR en Finlande, des affaires de corruption et une concurrence néfaste avec l’autre champion nucléaire français, EDF. Une succession de difficultés qui ont conduit le groupe à une recapitalisation et à une restructuration douloureuses.

La mutation s’est faite dans la douleur : le groupe a fait partir près de 6 000 salariés, et l’Etat et le japonais Mitsubishi ont dû le renflouer à hauteur de 5 milliards d’euros.

En 2017, il a été scindé en trois morceaux : le premier, New Areva – désormais Orano – a gardé les activités des mines d’uranium et du cycle du combustible, et compte désormais 16 000 salariés. La nouvelle entité se concentre sur l’enrichissement et le recyclage du combustible nucléaire, la logistique et les services liés au nucléaire, dont le démantèlement.

D’un autre côté, Areva NP, qui a repris son ancien nom de Framatome début janvier, est devenu une filiale d’EDF et se concentre sur la conception des réacteurs et le matériel nécessaire aux centrales. C’est notamment de cette entité que dépend l’usine du Creusot Forge, mise en cause pour les défauts sur la cuve du réacteur de Flamanville et dont les dossiers sont encore en cours d’examen par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Enfin, la maison mère, Areva SA – seule à conserver le nom –, a été maintenue temporairement, le temps que l’épineux contrat de l’EPR finlandais, complexe gouffre financier, se termine.

Une transformation qui s’est faite dans la douleur : en deux ans de restructuration, le groupe Areva a fait partir près de 6 000 salariés. L’Etat et le groupe Mitsubishi ont dû le renflouer à hauteur de 5 milliards d’euros.

« Un nouveau projet d’entreprise »

« C’est vrai qu’il fallait couper avec le passé, explique-t-on en interne pour expliquer ce changement de nom, mais on a surtout un nouveau projet d’entreprise, une nouvelle organisation. » De fait, en changeant d’identité, le groupe peut enfin annoncer des objectifs un peu plus ambitieux.

D’abord, Orano veut renforcer son développement en Asie, avec pour objectif que 30 % de son chiffre d’affaires soit réalisé dans la région en 2020, contre 20 % aujourd’hui. Cela, alors que la Chine est l’un des rares pays qui continuent d’investir dans le nucléaire. Une vingtaine de réacteurs sont en construction dans le pays. Au Japon, le gouvernement a donné, fin décembre, son feu vert au redémarrage de réacteurs de Tepco, une première depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, ce qui donne quelque espoir au groupe français, dont plus de 60 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’international.

Ensuite, le groupe veut accélérer son virage dans les services, et particulièrement le démantèlement nucléaire. « D’ici au milieu du siècle, il y aura 150 réacteurs à démanteler dans le monde. C’est un vrai marché pour nous », explique-t-on en interne. D’autant qu’Orano est spécialisé dans le démantèlement des parties les plus sensibles des réacteurs. Un domaine dans lequel le groupe va embaucher dans les prochaines années. D’ici à 2020, un salarié d’Orano sur deux devrait travailler dans les activités de services.

Une filière nucléaire en difficulté

Des ambitions atteignables mais qui reposent sur l’espoir que la filière nucléaire a encore un avenir au niveau mondial. Sans construction de nouveaux réacteurs, l’activité liée au combustible sera à terme réduite à la portion congrue. Elle devra se contenter du marché du démantèlement.

Le groupe dirigé par Philippe Knoche croit dur comme fer que la filière a de beaux jours devant elle. Elle fait pourtant face à d’importants défis : au niveau mondial, très peu de pays investissent dans de nouveaux réacteurs. Certains, comme l’Allemagne, ont renoncé au nucléaire quand d’autres, comme l’Inde ou l’Afrique du Sud, hésitent à s’y engager.

Les coûts des nouveaux réacteurs nucléaires sont bien supérieurs à ceux des réacteurs existants – en témoignent les dérapages faramineux des EPR de Flamanville (Normandie) et Olkiluoto (Finlande). La concurrence du gaz et des énergies renouvelables – dont les prix baissent de manière continue – pèsent fortement aux Etats-Unis, qui comptent encore près de cent réacteurs en activité.

En France, Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique et solidaire, a confirmé en octobre l’objectif de réduire à terme la part du nucléaire dans le mix électrique, même si cette perspective a été repoussée au-delà de 2025.

Du côté des mines, le marché de l’uranium est mal en point, avec un prix qui a été divisé par deux en 2016, et ne remonte pas depuis.

Au niveau mondial, EDF et Areva sont bien seuls à plaider pour le développement d’un nucléaire qui ne produit pas de gaz à effet de serre mais suscite la méfiance, voire l’opposition des populations dans de nombreux pays.

Dans ces conditions, comment imaginer le futur d’un groupe spécialisé dans le cycle du combustible nucléaire ? « Nos perspectives à court terme ne sont pas bonnes, mais, à moyen terme, il y a de l’espoir », lançait avec un optimisme très mesuré un dirigeant de New Areva fin novembre.

Interrogations sur l’usine chinoise de traitement des déchets nucléaires

L’annonce, le 9 janvier, était l’un des points d’orgue du voyage d’Emmanuel Macron en Chine : la signature entre New Areva et le chinois CNNC d’un protocole d’accord pour une usine de recyclage des déchets nucléaires pour plus de 10 milliards d’euros. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, estimait que le contrat définitif de ce projet vieux de plus de dix ans pourrait être signé « au printemps ». Mais, depuis, les discussions se poursuivent sans certitude de déboucher. Du côté du groupe français, on est prudent, car il n’est pas question de signer un deal au rabais. Côté chinois, le projet suscite des doutes. Li Ning, doyen du collège sur l’énergie de l’université de Xiamen et membre d’un comité d’Etat sur le nucléaire, cité par Reuters, juge « assez faible » la probabilité que la Chine signe un contrat formel.