Le premier ministre indien,  Narendra Modi, au  World Economic Forum, à Davos, mardi 23 janvier. / Laurent Gillieron / AP

Revoici ce rituel singulier où chefs d’Etat, patrons de multinationales, ONG, cerveaux de la science et de la technologie, stars hollywoodiennes et même bollywoodiennes bravent le blizzard et convergent vers un centre de cure pour tuberculeux. Un nombre record de participants est attendu pour ces 48e réunions annuelles du Forum économique mondial qui se tiennent à Davos du 23 au 26 janvier, sur le thème « Construire un avenir commun dans un monde fracturé ».

Symbole de l’une de ces fractures, sept femmes coprésident, pour la première fois, l’opus 2018, dont deux Françaises, Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, et Isabelle Kocher, d’Engie. « Les femmes sont tout en bas de l’économie mondiale. Et, même en haut, neuf milliardaires sur dix sont des hommes », dénonce Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam international, venue en Suisse alerter les élites mondiales sur la montée des inégalités.

Dix ans après la crise financière qui a ébranlé le capitalisme mondial, pourtant, le fond de l’air économique s’est fortement réchauffé et Mme Lagarde s’est félicitée, lundi à Davos, du « renforcement de la croissance ». « C’est une très bonne nouvelle », a-t-elle dit.

En 2018, c’est la politique qui va mal. La gouvernance mondiale a perdu ses repères dans un monde en pleine recomposition, où le multilatéralisme est contesté par le président d’un pays, les Etats-Unis, qui en a pourtant été le principal promoteur, où les valeurs des démocraties libérales sont en recul, et où les géants de la technologie paraissent incontrôlés.

Signe peut-être d’une prise de conscience de la nécessité d’échanges, de confrontations des positions et de débats dans cette période troublée, pas moins de 70 chefs d’Etat et de gouvernement font le déplacement dans les Grisons.

Donald Trump et Emmanuel Macron sont très attendus

Le premier ministre indien, Narendra Modi, devait ouvrir mardi la série d’interventions publiques prévues toute la semaine en séance plénière. C’est la première fois que M. Modi vient à Davos, où il devrait non seulement mettre en valeur la campagne « Invest India » mais aussi exposer la vision de son pays sur un échiquier géostratégique où l’autre géant asiatique, la Chine, avance de plus en plus de pions. En 2017, le président Xi Jinping (absent cette année) avait mis à profit le vide américain pour se poser en chantre du libre-échange et du multilatéralisme.

Deux autres « nouveaux » sont très attendus : le président américain Donald Trump et son homologue français. Emmanuel Macron, dont l’image innovante continue de fasciner les milieux internationaux, pourra relancer son slogan « Europe is back » : il doit prendre la parole mercredi 24 janvier, qui sera une journée très européenne, puisque M. Macron aura été précédé sur la scène par le roi Felipe d’Espagne, le premier ministre italien Paolo Gentiloni et, surtout, la chancelière allemande Angela Merkel qui, ayant levé un gros obstacle sur le chemin de sa coalition, a décidé à la dernière minute de venir aussi à Davos.

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker s’exprimera jeudi, comme Theresa May, la première ministre britannique. « L’équipe Europe » veut à la fois signaler son retour, avec l’embellie de la croissance dans la zone euro, et promouvoir un « narratif » différent du « America First » de M. Trump.

Car c’est bien la prestation du président américain qui fournira le clou de la semaine, vendredi. Nul ne sait encore s’il compte essayer de séduire ou au contraire sermonner, voire insulter, les représentants des élites mondialisées qui l’écouteront.

Les uns ont besoin des autres

Il aurait tort, cependant, de briser leur optimisme. Selon la traditionnelle enquête de PwC sur le moral des patrons publiée lundi, 57 % des 1 300 dirigeants d’entreprise interrogés, dans 85 pays, estiment que la croissance économique va s’améliorer dans les douze prochains mois : ils étaient 29 % seulement il y a un an. Cela constitue le plus haut niveau de confiance depuis que PwC a lancé ce baromètre en 2012.

Concernant les perspectives de croissance de leur propre entreprise, les patrons s’avouent en général plus prudents (42 %), sauf les Américains, dont l’optimisme est remonté en flèche en un an : en 2017, juste après l’entrée en fonction de M. Trump, 39 % d’entre eux se déclaraient « très confiants », mais après la mise en œuvre de sa politique pro-business, ils sont désormais 53 % à voir l’avenir en rose.

L’amélioration de la conjoncture économique n’occulte pas, cependant, la montée de nouvelles menaces. De façon spectaculaire, le terrorisme, les incertitudes géopolitiques et la cybersécurité sont devenus en 2018 les risques qui inquiètent le plus les dirigeants – derrière l’immuable hyper-régulation. « Les plus grandes préoccupations des dirigeants d’entreprises sont liées à des changements géopolitiques et sociétaux plutôt qu’à la dynamique de leurs propres marchés », souligne Bernard Gainnier, président de PwC pour la France et l’Afrique francophone. L’assiduité des dirigeants politiques et économiques à Davos montre à quel point les uns ont besoin des autres – et réciproquement.