Les délégués à la cohésion police-population, d’anciens « schmitts » qui tentent de « faire le lien »
Les délégués à la cohésion police-population, d’anciens « schmitts » qui tentent de « faire le lien »
Par Feriel Alouti (Envoyée spéciale à Toulouse, Haute-Garonne)
Alors qu’une police de sécurité du quotidien doit bientôt voir le jour, depuis 2008 ces policiers retraités tentent, avec des moyens limités, de combler le vide laissé par la suppression de la police de proximité.
Après vingt-trois ans passés en brigade des mineurs, Christiane Cocurullo est devenue déléguée pour « garder un lien avec la société ». / FERIEL ALOUTI / « Le Monde »
Il y a quelques mois, le hall d’immeuble, trop vétuste pour être accueillant, servait encore de point de vente à quelques dealeurs du quartier Empalot – un coin de Toulouse où, pour ramener de la mixité sociale, les grands ensembles d’après-guerre sont peu à peu rasés. Chaque soir, vendeurs et acheteurs s’y croisaient le temps d’une transaction. Mais très vite le vacarme suscité par les disputes, les fous rires et la musique ont tourmenté le sommeil des résidents, et attisé leur colère. Alors, certains ont parlé. « J’ai fait remonter l’info, et la police a mis le paquet sur les contrôles », se souvient Christiane Cocurullo. Depuis, « je peux vous assurer qu’il n’y a plus personne ». En revanche, « ça repart dans l’immeuble d’à côté ».
Après vingt-trois ans de service en brigade des mineurs, et une retraite à 57 ans, Christiane Cocurullo est devenue, il y a presque deux ans, « déléguée à la cohésion police-population » (DCPP). Occupée par des policiers retraités – en tout 139 anciens fonctionnaires éparpillés en France –, cette fonction a été créée en 2008 dans le cadre du plan « Espoirs banlieues ». A l’époque, il s’agissait de restaurer « un climat de confiance », et de « multiplier les contacts » auprès d’une population échaudée par la suppression, cinq ans plus tôt, de la police de proximité, et l’arrivée des unités territoriales de quartier (UTeQ) – aujourd’hui remplacées par les brigades spécialisées de terrain (BST) –, ces unités déployées dans les quartiers pour enchaîner les flagrants délits sans, reconnaît la profession, prendre le temps de parler avec ceux qui y vivent et y travaillent.
A Toulouse, pour « faire ce lien », quatre délégués – répartis dans les deux zones de sécurité prioritaires et un quartier « politique de la ville » – vont à la rencontre des associations, des élus, des bailleurs sociaux, des personnels d’éducation et des résidents. Leur mission ? « Prendre la température, relayer les problématiques, et couper la tête aux rumeurs », résume Michel Bardeille, délégué dans le secteur des Izards depuis cinq ans. « Moi, je leur dis : “Je ne suis pas Zorro, je ne vais pas régler tous vos problèmes, mais je peux les relayer.” » Et bien souvent il suffit de tendre l’oreille pour les « réconforter un peu ».
Expliquer « les limites de la police »
Dans ce quartier, comme à Empalot, la « première nuisance » concerne le trafic de stupéfiants, expliquent les délégués. A La Reynerie-Bellefontaine, où l’on compte environ 18 000 habitants pour un seul délégué, les points de vente sont si bien organisés que les gérants prennent soin de taguer sur les murs de grandes flèches pour indiquer aux consommateurs le chemin de la « coke » et de la « beuh ».
Face à ces supermarchés qui brassent jusqu’à 20 000 euros par jour, ces policiers retraités sont, certes, impuissants mais parviennent à récolter quelques confidences auprès de certains habitants. « Mon rôle premier, ce n’est pas le renseignement, tient toutefois à préciser Michel Bardeille. Mais les gens me parlent car ils me font confiance. Ils savent qu’avec moi leur anonymat est respecté. » Parfois, les délégués doivent aussi expliquer « les limites de la police » quand, au lendemain d’une « opération stup », apparaissent de nouveaux guetteurs.
A La Reynerie, les points de vente de stupéfiants sont si bien organisés que les gérants prennent soin d’indiquer, aux consommateurs, le chemin de la « coke » et de la « beuh ». / FERIEL ALOUTI / « Le Monde »
Pour faire en sorte que les habitants vivent mieux dans leur quartier, ces « relais » tentent plutôt de résoudre les problèmes de voisinage qui empoisonnent la vie des résidents. Quand un habitant est trop bruyant, Christiane Cocurullo frappe à sa porte, montre sa carte de réserviste, et fait un rappel à la loi. Quand, l’été, des adolescents enchaînent les rodéos de scooter, la déléguée tente d’identifier les engins et communique l’information à ses collègues. Quand des résidents transmettent des numéros de plaque de véhicules abandonnés, l’ancienne policière demande aux services spécialisés de venir ramasser les épaves. A Empalot, comme ailleurs, régler les conflits de voisinage est pourtant une prérogative des bailleurs sociaux, précise la déléguée, sans oser se plaindre.
La retraitée, souvent perçue comme « le schmitt gentil », intervient également dans des établissements scolaires pour des rappels à la loi, en cas de vol et de harcèlement, et pour sensibiliser les élèves à la sécurité routière et aux dangers des réseaux sociaux. Là aussi, « normalement, il y a un référent scolaire dans chaque commissariat, mais dans le mien, il n’a pas le temps de le faire ».
« Une attitude pas acceptable »
« Prioriser l’information du délégué » et « apporter une réponse » est le leitmotiv de David Delattre, le capitaine de police chargé des DCPP toulousains.
« Mais quand un fonctionnaire a 700 dossiers sur son bureau et qu’on vient lui dire que celui-ci n’a pas de nouvelles de sa plainte depuis trois mois et qu’il faudrait la traiter en priorité, il peut se dire : “Pourquoi lui et pas un autre ?” »
« S’il y a quatre ou cinq ans, deux halls d’immeuble sur sept étaient occupés, aujourd’hui, c’est la quasi-totalité », assure Marc Charrié, délégué à La Reynerie. Les entrées sont squattées par des acteurs du trafic de stupéfiants ou, tout simplement, par des jeunes du quartier qui s’y réunissent. / FERIEL ALOUTI / « Le Monde »
Dans ces quartiers populaires, les délégués ont aussi la mission de « remonter » les faux pas des collègues. Ce fut le cas en octobre 2009 lorsque trois policiers ont arrêté dans le quartier de Bagatelle un homme soupçonné de violences conjugales. Alors qu’une quinzaine de jeunes gens observaient avec intérêt la scène, un éducateur bien connu s’est approché des fonctionnaires pour connaître le motif de l’interpellation. « L’un des policiers a répondu : “Parce qu’il me casse les couilles” », rapporte le capitaine Delattre, qui fustige une « attitude pas acceptable ».
Quand il a réuni ces « collègues » pour leur faire savoir, ils ont répondu qu’ils n’avaient pas le temps de se lancer dans des explications. David Delattre a alors tenté de leur faire comprendre qu’une simple réponse pouvait éviter qu’une « situation s’envenime », les interpellations en public étant toujours des moments de tension.
« Peur de passer pour des balances »
S’ils sont désormais à l’aise sur leur terrain, les délégués ont dû, au début, gérer les appréhensions. Quand Michel Bardeille a débarqué aux Izards, quelques mois après l’attaque de Mohamed Merah, l’accueil était forcément « un peu timide ». Il a fallu expliquer que « la colonne vertébrale de la police, c’est la protection des personnes et des biens » ; un discours qu’on ne « leur avait jamais tenu », dit-il. Car « les collègues on leur dit d’intervenir, ils font leur boulot, et c’est tout ».
Ce jour-là, Michel Bardeille, qui refuse que son image soit diffusée, discute sur la place du marché avec un habitant et une employée de la bibliothèque. / FERIEL ALOUTI / « Le Monde »
Au départ, Martine Calmes, coordinatrice au sein de l’Association socio-éducative Empalot-Rangueil (Aseer), qui s’occupe de soutien scolaire et de parentalité, était pourtant « un peu sceptique » quant au lien qu’elle pouvait entretenir avec ce « relais ». « En tant qu’association on n’est pas là pour faire du contrôle social ou de la délation. » Dix ans plus tard, la coordinatrice assure que « le délégué a facilité la relation et la vision que les gens ont de la police ».
Plus au sud, Marc Charrié, délégué depuis deux ans à La Reynerie-Bellefontaine, sent que certaines associations se « méfient » encore. « Elles n’ont pas envie de me voir », dit-il au volant d’un vieux Renault Espace. Sûrement « la peur de passer pour des balances », lui glisse un collègue.