Le premier ministre indien Narendra Modi lors de la séance inaugurale du Forum économique mondial de Davos, le 23 janvier. / DENIS BALIBOUSE / REUTERS

Donald Trump aura été prévenu. Dès le premier jour des travaux du 48e Forum économique mondial, mardi 23 janvier à Davos (Suisse), le premier ministre indien, Narendra Modi, puis, quelques heures plus tard, son homologue canadien, Justin Trudeau, ont lancé une offensive contre le protectionnisme et l’isolationnisme, qui, sans jamais citer le président américain, a clairement posé les termes du débat qui les oppose.

Le plaidoyer des deux dirigeants en faveur d’un « monde ouvert », sans « murs » ni « barrières », était autant adressé à M. Trump – qui doit intervenir à son tour, vendredi 26 janvier, à la clôture du Forum –, qu’à l’assemblée présente.

C’est M. Modi qui a ouvert le front. Dans un style différent, M. Trudeau a, lui, enfoncé le clou. Ce dernier a commencé son discours par l’annonce, très applaudie, de la conclusion des discussions à Tokyo entre les onze pays du Pacifique, dont le Canada et le Japon, désormais prêts à signer, le 8 mars, le Partenariat transpacifique, l’accord de libre-échange dont M. Trump s’est retiré dès son arrivée au pouvoir. « C’est un grand jour pour le commerce progressiste dans le monde », s’est réjoui le dirigeant canadien. Le fait que ce projet soit mené à bien sans les Etats-Unis est un camouflet pour l’administration américaine.

« Trois grandes menaces »

Premier chef du gouvernement indien à faire le déplacement à Davos depuis 1997, M. Modi a eu la place d’honneur, celle du discours d’ouverture du Forum en séance plénière, devant une salle bondée. Il l’a mis à profit pour promouvoir l’image d’une Inde ouverte sur le monde et prête à y jouer son rôle, avec sa vision propre. « Nous devons construire un avenir partagé », a-t-il insisté, en déplorant le « manque de consensus » au sein de la communauté mondiale. « Comme dans les familles, il peut y avoir des divergences », mais, « ici, les lignes de fracture sont plus profondes », a-t-il dit, et empêchent la « solidarité » essentielle pour affronter « les trois grandes menaces auxquelles fait face notre civilisation ».

Le changement climatique, d’abord. Alors que M. Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, le premier ministre indien a invoqué les textes anciens, Bouddha et Gandhi pour mettre en garde contre les attaques répétées contre « la Terre, notre déesse ». En cause, le consumérisme : « Nous sommes passés d’une consommation fondée sur nos besoins à une consommation fondée sur la cupidité, ce qui a un impact négatif effrayant sur l’environnement. » La solution ne peut être trouvée qu’ensemble ; M. Modi a cité l’exemple de l’initiative lancée avec la France dans le domaine du solaire.

Le terrorisme est la deuxième menace. Il a jugé la troisième tout aussi grave : « Les pays se replient de plus en plus sur eux-mêmes. La mondialisation perd de son lustre. » Sans se poser en champion de la mondialisation, comme l’avait fait le président chinois, Xi Jinping, à Davos en 2017, le chantre du « make in India » a déploré les incertitudes sur la montée des barrières douanières, de nouvelles dispositions venant d’être prises par Washington concernant des importations de machines à laver et de panneaux solaires. « La réponse, a-t-il souligné, n’est pas l’isolement. »

L’indispensable lutte contre les inégalités

Appelant à « une politique agile et alignée sur notre temps », le premier ministre indien a aussi demandé si des institutions comme l’Organisation des Nations unies et l’Organisation mondiale du commerce répondaient encore « aux aspirations de l’humanité et aux réalités d’aujourd’hui », en particulier dans le monde en développement.

M. Modi a profité de la tribune qui lui était offerte devant les entreprises internationales pour vanter ses réformes économiques et le « tapis rouge » qu’il veut dérouler aux investisseurs. Une vision confortée par la place de cinquième pays le plus attrayant en 2018, octroyée à l’Inde – qui détrône ainsi le Japon –, par les dirigeants d’entreprises interrogés par le cabinet PricewaterhouseCoopers, dans le cadre du baromètre annuel, dévoilé lundi 22 janvier.

Mais sa profession de foi en faveur d’un développement « inclusif », qui constitue sa « vision du progrès », se heurte, elle, à la très mauvaise note délivrée, lundi, par le Forum économique mondial dans son étude annuelle sur le sujet. Selon cette analyse, qui pondère les politiques économiques de chaque pays en fonction de leur capacité à diffuser les bénéfices de la croissance, l’Inde se classe en 62e position, sur 74 pays notés.

Plus convaincant sur ce point, M. Trudeau a lui aussi mis l’accent sur les ratés de la mondialisation et l’indispensable lutte contre les inégalités. « Nous ne pouvons pas répéter les erreurs du passé », a-t-il plaidé, au nom « des gens qui ne sont pas à Davos et n’y seront jamais » : « Nous sommes privilégiés, c’est à nous d’agir. » Le dirigeant canadien a fait valoir que si l’on veut « combattre le mouvement anti-libre-échange », il faut faire en sorte que les accords commerciaux « profitent à tous, à tous les citoyens » des pays signataires.

L’égalité des sexes, un levier « fondamental »

M. Trudeau, dont le pays préside cette année le G7, s’est aussi lancé dans un plaidoyer passionné en faveur de l’égalité des sexes, l’un des leviers « fondamentaux » dont disposent les gouvernements pour, précisément, changer l’économie, et dont il veut faire une priorité du G7. « Embaucher, promouvoir et maintenir les femmes à leurs postes », a-t-il affirmé, est l’un des axes de cette action, pour laquelle « il faut fondamentalement changer la culture de l’entreprise, afin que les femmes s’y sentent accueillies et valorisées ».

La parité est un autre axe. De même que la lutte contre le harcèlement sexuel, « une question énorme, un problème systémique ».

Voilà qui était parfaitement en accord avec l’agenda de ce Davos 2018, également placé sous le signe de l’égalité hommes-femmes avec ses sept coprésidentes. L’une d’elles, Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international, a d’ailleurs regretté que M. Modi ait passé la question sous silence dans son pourtant très long discours.