Ils étaient plutôt fiers de leur barricade montée depuis quarante-huit heures devant l’entrée de la maison d’arrêt de Besançon (Doubs), les personnels grévistes. Outre les traditionnelles palettes en bois et les pneus à enflammer, on y trouvait pêle-mêle un grand panneau de bois marqué « ZAD », une vieille machine à laver sur laquelle était peint « Nique tout », un drapeau tricolore… Les CRS n’ont guère eu de mal à la dégager, mercredi 24 janvier. Curieusement, une cuve avait aussi été emplie de 2 000 m3 d’eau. « C’était pour les embêter, plaisante un des surveillants en grève, des fois qu’ils auraient cru que c’était de l’essence ! » Lorsque les policiers les ont délogés, l’opération, plus symbolique qu’agressive, s’est déroulée sans heurts. « On est tous du même côté de la barrière, celui de la loi, on ne va pas se taper dessus, quand même, commente un solide gaillard moustachu. Enfin, du même côté, peut-être pas ces jours-ci … »

A Besançon, où 358 détenus sont écroués, surveillés par 83 agents, la « grève est suivie à 100 % », se réjouissent les gardiens. La vingtaine d’autres fonctionnaires de l’administration pénitentiaire en poste sur le site, connu de toute la population bisontine sous la dénomination familière de « la butte », participe au mouvement. La semaine précédente, deux dépôts de clefs avaient déjà eu lieu le lundi et le jeudi. Puis le mouvement s’est durci « face à l’attitude de la ministre » et, depuis lundi à 6 heures du matin, personne ne pouvait plus pénétrer dans l’établissement ou en sortir.

Quand plus un seul surveillant n’a été en service, le directeur de l’établissement et le préfet du Doubs ont eu recours aux forces de police et de gendarmerie locales pour les remplacer, avec l’équipe régionale d’intervention et de sécurité du ministère de la justice. Des CRS de Grenoble sont arrivés en renfort, mercredi à 11 heures. Leur intervention a permis à la chaîne logistique de redémarrer, en priorité pour garantir l’approvisionnement du site en nourriture et l’enlèvement des poubelles.

Pas question de céder

Cette cohabitation, en apparence paisible, n’empêche pas chacun de camper sur ses positions. C’est dans une autre entrée, à une vingtaine de mètres, qu’a été installée par le piquet de grève une table avec jus de fruits, café et gâteaux à grignoter. Parfois, des collègues de maisons d’arrêt proches, de Vesoul ou de Belfort notamment, viennent apporter leur soutien.

Les assemblées générales, elles, se tiennent le long du second mur d’enceinte, debout. L’intersyndicale UFAP-UNSA, FO, CGT les multiplie. « On tient à ce mode de fonctionnement collectif, explique Rémy Croissant, secrétaire local du SNP-FO. On amène des idées, on en débat en commun, ensuite on vote à l’unanimité et on applique ! »

Sur les revendications nationales, tous sont d’accord. Pas question de céder « face à une ministre intello qui n’y connaît rien », entend-on. Mais au fil des échanges, des préoccupations plus locales émergent. A Besançon, deux sujets en particulier nourrissent les passions : la nouvelle unité sanitaire et l’accueil possible de détenus radicalisés.

L’unité sanitaire, c’est l’infirmerie. « Elle est flambant neuve, a coûté deux millions d’euros, s’étend sur 600 m2 et doit, en principe, ouvrir le 14 février, raconte Rémy Croissant, porte-parole du jour, entouré de surveillants muets mais vigilants. Le problème, c’est que la surface a été doublée ou triplée et qu’on ignore le nombre de personnels qui y seront affectés. Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul surveillant alors que les mouvements de détenus à soigner se comptent par dizaines. Dans ces conditions, les personnels sanitaires aussi sont inquiets pour leur sécurité, ils craignent des agressions. »

« On veut des moyens »

L’autre gros souci, c’est la gestion des quartiers disciplinaire et d’isolement. « On nous a dit que la maison d’arrêt de Besançon pourrait être amenée prochainement à recevoir des détenus radicalisés de retour de Syrie et de zones de guerre, poursuit le délégué SNP-FO. Ce n’est encore qu’un projet, mais il suffit qu’un juge le décide. On n’est pas équipés en termes de locaux, on n’a pas de structure adaptée, on ne dispose que d’une porte équipée de passe-menottes, les personnels ne sont pas formés, donc on veut des moyens, des personnels, de la formation, de nouvelles méthodes de travail et un renforcement législatif. »

Frondes locale et nationale se rejoignent donc. « Bien sûr que tout est lié, et quand on aborde un sujet, un autre surgit », résume Rémy Croissant. Ils le répètent en boucle : le manque de considération, les injures et les crachats, les petites violences du quotidien, la crainte d’être un jour victime d’une prise d’otages ou d’une tentative d’assassinat, le tout pour un « salaire de misère » rapporté aux risques encourus, c’est beaucoup. Tout cela leur « mine le moral, crée du stress et des difficultés familiales ».

Pourtant, leur métier, ils l’ont choisi, et la plupart d’entre eux l’aiment et y croient toujours. S’ils ont l’intention de poursuivre leur mouvement « aussi longtemps qu’il le faudra pour être respectés et entendus (…) malgré les menaces de sanction », ils ne peuvent s’empêcher de penser à ce qu’il se passe entre les murs de la prison en leur absence. « Les CRS et les gendarmes, ce n’est pas leur métier. S’il y a une difficulté, ils vont être dans le rapport de force. Alors que nous, nous tentons d’abord de la résoudre par la discussion », commente Rémy Croissant. Qui se demande, comme ses collègues, « dans quel état psychologique » ils vont retrouver des détenus « forcément déstabilisés » par l’interruption des douches et des promenades et le confinement dans les cellules. La nuit précédente, beaucoup n’avaient cessé de taper sur les portes pour protester contre ces contraintes. Mission de dégagement accomplie, les CRS ont repris la route peu après 16 heures. Les surveillants les ont gratifiés d’une haie d’honneur rigolarde. Et ils se sont empressés de remonter une nouvelle barricade.