Un supermarché Carrefour à Wuhan, province chinoise de Hubei, le 3 décembre 2011. / Darley Shen / REUTERS

Carrefour veut s’en sortir par le haut. Les bruits de couloir selon lesquels le groupe cherchait à quitter la Chine étaient pressants à l’approche de la présentation du plan stratégique dévoilé par le nouveau PDG, Alexandre Bompard, mardi 23 janvier. Plutôt qu’un retrait de la Chine, Carrefour a annoncé une alliance avec Tencent, le géant chinois des réseaux sociaux et médias, et Yonghui, une chaîne de supermarchés locale. L’accord préliminaire ne dit pas à quelle hauteur Tencent et Yonghui monteront dans le capital de sa filiale chinoise. Mais les investisseurs sont conquis : après l’annonce de cet accord, l’action Yonghui a gagné 7 % à la Bourse de Shanghaï et celle de Tencent, 3 % à Hongkong.

Il y avait urgence. Le chiffre d’affaires de Carrefour Chine, autrefois l’un des leaders du secteur, recule depuis trois ans. En 2017, ses ventes ont baissé de 5,5 % (à 4,6 milliards d’euros), sur un marché nettement moins dynamique que par le passé en raison de la montée en puissance du commerce en ligne.

Les cent plus grandes chaînes de magasins en Chine ont enregistré une hausse de leur chiffre d’affaires de 3,5 % en 2016, contre 15 % à 25 % dans les années 2000, d’après l’Association chinoise des chaînes de magasins et des franchises. La vente en ligne a, elle, progressé de 28,6 % au premier semestre 2017, selon le Bureau national des statistiques chinois.

Les acteurs traditionnels souffrent de la concurrence des géants du commerce en ligne chinois, Alibaba et JD.com, qui ont fait de la conquête du commerce physique leur priorité depuis deux ans. En ouvrant leurs propres enseignes, comme les épiceries Hema d’Alibaba, un concept de magasin dit 020 pour « online to offline » (« en ligne » et « hors ligne ») dans lequel on peut scanner les codes-barres des produits avec son téléphone pour en savoir plus, se faire livrer chez soi en une demi-heure par le biais d’une application et payer grâce à la reconnaissance faciale en sortant du magasin. JD.com, le concurrent le plus sérieux d’Alibaba dans la distribution, s’est lancé sur le même créneau début janvier, et a ouvert son premier magasin entièrement automatique quelques semaines avant celui de l’américain Amazon. De quoi donner un coup de vieux aux supermarchés classiques.

« C’est un bon signal »

En réaction, les acteurs traditionnels ont multiplié les alliances avec les géants du Web ces dernières années. L’américain Walmart a vendu sa branche numérique à JD.com en 2016, contre 5 % de participation dans l’entreprise chinoise. En novembre 2017, Auchan, présent en Chine depuis 2000 à travers la coentreprise Sun Art, avec le taïwanais Ruentex, a annoncé l’entrée d’Alibaba à son capital. Un investissement de 2,47 milliards d’euros pour le groupe chinois. Avec cette alliance, Auchan peut compter sur les données et l’expertise numérique du numéro un chinois du commerce en ligne.

L’accord entre Carrefour, Tencent et Yonghui s’inscrit dans cette stratégie. Le projet de coopération vise entre autres le partage des données, la numérisation des magasins, les solutions de paiement mobile et l’exploitation de données afin de dynamiser le trafic en magasin de Carrefour Chine. « Avec cette alliance, ils reviennent dans la course, c’est un bon signal. Tencent est un géant du Net [le réseau social Wechat, application phare de Tencent, compte près d’un milliard d’utilisateurs] et Carrefour une marque très connue en Chine : si vous demandez à des Chinois de citer trois acteurs de la grande distribution, il est évident que “Jia le fu” sera cité [le nom chinois de Carrefour, signifie “maison, bonheur, chance”]. Ils doivent capitaliser là-dessus », estime Stéphane Joly, vice-président d’Altavia, groupe spécialisé dans la communication pour la grande distribution.

Pour Tencent, par ailleurs actionnaire du numéro deux du commerce en ligne en Chine JD.com, l’entrée chez Carrefour et Yonghui lui assure une présence dans le commerce physique, comme son concurrent Alibaba. « Tencent a investi dans Yonghui l’année dernière pour construire un réseau “O2O”, en réponse à l’alliance Alibaba-Sun Art. Ensemble, Yonghui [500 magasins] et Carrefour [320 magasins], occuperont la deuxième place derrière Sun Art, en termes de parts de marché, analyse Jack Chuang, spécialiste de la vente en Chine, pour le cabinet OC & C Strategy Consultants. Les forces respectives de Yonghui dans les produits frais et de Carrefour dans les produits emballés et importés se complètent bien. »

Alibaba avait d’ailleurs approché Carrefour il y a un an, explique une source chez Carrefour, mais Georges Plassat, PDG du groupe jusqu’à juillet 2017, aurait « fait monter les enchères ». A Shanghaï, d’autres expliquent que l’ancien PDG, arc-bouté contre le commerce en ligne, était longtemps opposé à toute alliance avec Alibaba.