Des soldats français de l’opération « Barkhane » sur leur base aérienne à Niamey, le 22 décembre 2017. / LUDOVIC MARIN / AFP

Happées par deux fronts majeurs, le combat contre l’organisation Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie d’un côté, la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel de l’autre, les forces spéciales françaises sont contraintes d’accélérer leur mue. Le contre-terrorisme a déjà changé leur visage, assure l’amiral Laurent Isnard, à la tête du commandement des opérations spéciales (COS) depuis fin 2016, et qui s’exprime dans le cadre de la préparation de la future loi de programmation militaire pour la période 2019-2025. Le projet passera en conseil des ministres le 8 février.

Intenses, les opérations menées depuis trois ans « ont accru les compétences des opérateurs », souligne l’amiral Isnard. Au Sahel, « l’ennemi est excellent, discret, motivé, capable de partir de façon très disséminée avant de se regrouper, puis de mener un combat d’infanterie de haut niveau », explique-t-il au Monde. Le COS, avec son opération « Sabre », engage le feu toutes les semaines dans des raids. « Avec cette expérience du combat d’infanterie à un contre un, le niveau de nos opérateurs a dépassé celui des anciens, estime ce responsable, ils ont acquis une grande maîtrise de la force, une capacité de tir sélectif et dans toute la gamme. »

« Une guerre du renseignement »

En Irak et en Syrie, la guerre tient de « la combinaison de Stalingrad et de Twitter », précise l’amiral dans le compte rendu de sa toute première audition à l’Assemblée nationale, publié lundi 22 janvier. « L’adversaire met en œuvre tous les champs de confrontation – guerre urbaine lourde, artillerie, drones, cyber, risques radiologiques, biologiques ou chimiques, propagande. »

Deuxième enseignement, le contre-terrorisme conduit à projeter les forces spéciales dans la durée. En amont des crises, l’amiral évoque des opérations relevant de la prévention, « qui appellent une très basse visibilité des actions », en Afrique de l’Ouest par exemple. Ensuite, la formation de forces partenaires, comme elle fut lancée à Erbil auprès des Kurdes, puis à Bagdad auprès de l’armée irakienne, est vue comme « un moyen de se faire accepter sur le terrain » avant un engagement plus lourd. Quand la France décide de s’engager davantage, ces missions se prolongent par un appui direct aux forces locales : ce fut le cas auprès de la Division d’or – les forces spéciales – irakienne notamment pour des actions de guidage aérien de frappes lors de la reprise de Mossoul.

Au Sahel, indique au Monde le responsable militaire, « Sabre sera utile tant qu’il restera des terroristes à neutraliser ». Les commandos assurent un rôle de force de réaction rapide, quand les unités conventionnelles, françaises ou locales, déploient des opérations planifiées. « Nous sommes capables d’intervenir en une heure, à partir du moment où un groupe a été détecté, avec l’analyse en direct du renseignement au centre des opérations de l’état-major à Paris, en lien avec le président de la République. »

Dans ce cadre, de nouveaux moyens sont nécessaires pour mener ce qui est d’abord, selon l’amiral Isnard, « une guerre du renseignement ». Des avions légers de reconnaissance seront acquis dans la prochaine loi de programmation, ainsi que des moyens de communication à très longue distance par satellite.

Le COS semble aussi avoir convaincu le ministère d’investir rapidement dans des drones de moyenne endurance (100 kilomètres de portée et six heures de vol) capables d’emporter des armements de faible charge. Des spécialistes du cyber seront recrutés. Parce qu’il suit des groupes armés mobiles au travers le monde et transmet ce qu’il collecte aux services de renseignement, le COS a aussi, selon l’amiral, « une carte à jouer comme plate-forme locale, pour accueillir des personnels de nos différents services voire de services alliés ».

Effectif suffisant

Reste que ces unités d’élite n’échappent pas aux problèmes d’équipement des armées, craignant même un « décrochage ». La livraison des nouveaux véhicules terrestres, prévue pour répondre à un besoin jugé « urgent » début 2017, subit plus de deux ans de retard. « J’ai besoin d’hélicoptères », dit le patron des forces spéciales. Les besoins de drones de longue endurance et leurs moyens de guerre électronique sont complétés par les Etats-Unis. « Il s’agit d’assurer notre autonomie stratégique vis-à-vis des Américains », plaide-t-il. De même, « en matière logistique, on note la fragilité de nos lignes d’approvisionnement et la dépendance aux moyens externalisés, en particulier le recours au fret aérien ».

Pour rester « agile », selon le nouveau mantra en vigueur dans les armées, les forces spéciales visent 250 millions d’euros d’investissement sur les sept prochaines années, « un millième du budget annuel de la défense », a plaidé l’amiral devant les députés. « Je milite pour qu’on innove davantage dans tous les domaines », dit-il, en souhaitant pouvoir déroger aux marchés publics pour acheter des matériels légers existant déjà sur catalogue. Le choix d’aller vite a été retenu pour riposter aux drones transformés en roquettes par l’EI à Mossoul : des prototypes de fusils brouilleurs et des systèmes de détection ont été directement testés par le COS sur le terrain.

Avec 4 300 opérateurs dont 600 déployés en opérations extérieures, réservistes compris, les forces spéciales estiment avoir l’effectif suffisant. Elles ont recruté 1 000 soldats au cours des cinq dernières années. « Je n’ai pas de problèmes de recrutement, le défi, ce sera de garder les personnels, admet l’amiral Isnard, car le rythme effréné dans l’emploi est problématique. » Depuis trois ans, ces opérations ont tué deux militaires et en ont blessé vingt-six autres.