Le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, à Paris le 23 janvier. / Thibault Camus / AP

Le décret gelant les avoirs de vingt-quatre entités et responsables d’entreprises basés en Syrie, au Liban, en Chine, aux Emirats arabes unis mais aussi en France, accusés d’alimenter l’arsenal chimique syrien a été publié au Journal officiel français, mardi 23 janvier, quelques heures avant l’ouverture à Paris d’une conférence réunissant les ministres des affaires étrangères de vingt-quatre pays afin de lutter contre l’impunité de l’emploi de telles armes. Ce sont des petites entreprises qui se présentent comme distributeurs de métaux ou d’électronique, voire de simples boîtes aux lettres. Aucun responsable politique syrien n’est cité.

La publication de cette liste noire, pour limitée qu’elle soit, est la première initiative du « Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques » lancé par la France afin de collecter et partager des informations pour permettre, à terme, de lancer des poursuites. Une convention internationale signée en 1993 et reconnue par 192 pays interdit ces armes, utilisées plus d’une centaine de fois dans le conflit syrien depuis 2012, le plus souvent par le régime syrien mais aussi par l’organisation Etat islamique.

Nouvelle preuve

« Il est impossible de nier que la Russie, en protégeant son allié syrien, a violé ses engagements », a lancé le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, qui a dressé un véritable réquisitoire contre le Kremlin, estimant que son incapacité à faire respecter l’accord de 2013 encadrant la destruction de l’arsenal chimique de Damas remettait en cause son rôle dans la recherche d’un règlement global du conflit. « Depuis avril 2014, il y a des preuves supplémentaires indiquant que la Syrie possède des armes chimiques illicites et continue de les utiliser contre sa propre population », a insisté le chef de la diplomatie américaine.

L’attaque chimique, vraisemblablement au chlore, contre Douma, dans la banlieue proche de Damas, en début de semaine, en est une nouvelle preuve. « Quels que soient les responsables de ces attaques, la Russie sera in fine tenue responsable des victimes de la Ghouta orientale et des innombrables Syriens victimes d’attaques chimiques depuis qu’elle s’est impliquée dans le conflit syrien », a insisté le diplomate américain. Son homologue français, Jean-Yves Le Drian, n’a pas mentionné Moscou, dénonçant seulement « l’obstruction de certains pays qui instaurent une espèce d’impunité de fait ».

Ecran de fumée

« Chlore, sarin, gaz moutarde, VX : ces noms de mort sont revenus sur le devant de la scène internationale et, avec eux, les images terribles des victimes de ces armes de terreur », a énuméré le ministre français. Il s’agit, pour Paris, de contourner le blocage au Conseil de sécurité où, par deux fois en novembre 2017, la Russie avait mis son veto à la reconduction de l’enquête sur l’attaque au sarin contre Khan Cheikhoun, localité rebelle du nord de la Syrie, qui avait fait 83 morts le 4 avril 2017. Moscou a annoncé le 23 janvier déposer un projet de résolution pour créer un nouveau mécanisme d’investigation « vraiment impartial et indépendant ». La représentante américaine, Nikki Haley, a rejeté cette initiative, la qualifiant d’écran de fumée « qui ne cherche qu’à faire diversion ».

La déclaration commune, signée par les ministres des 24 pays (les Etats-Unis, une dizaine d’Européens, la Turquie, l’Ukraine, la Corée, le Japon, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, le Maroc et la Tunisie), promet « une réponse ferme s’appuyant sur des mesures nationales et internationales pour garantir que les responsables de l’ utilisation d’armes chimiques rendent des comptes ».

A l’issue de cette conférence s’est tenue une réunion à huis clos des ministres des affaires étrangères français, américain, britannique, jordanien et saoudien afin de se concerter sur une action commune dans le dossier syrien et « remettre le processus diplomatique de Genève au centre de l’action diplomatique » avec la reprise des pourparlers sous l’égide de l’ONU à Vienne les 25 et 26 janvier et avant le Congrès du dialogue national syrien convoqué par la Russie à Sotchi à la fin du mois.