Luiz Iñacio Lula da Silva, à Sao Paulo, le 18 janvier. / Andre Penner / AP

Dès la sortie de l’aéroport de Porto Alegre, les affiches du mouvement conservateur Movimento Brasil Livre (MBL), à l’origine de la mobilisation des Brésiliens contre la corruption et pour la destitution de la présidente de gauche, Dilma Rousseff, en 2016, assurent que le sort de l’ex-président est scellé : « Lula na cadeia » (« Lula en prison »), annoncent-ils.

Mais l’avenir de Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », figure mythique de la politique brésilienne, président de 2003 à 2010, n’est pas encore écrit. Il se joue mercredi 24 janvier, à partir de 8 h 30, heure locale, dans une petite salle du tribunal de Porto Alegre. La même ville à l’extrême sud du Brésil qui accompagna le triomphe de l’ex-métallo lors du premier Forum social mondial en 2003, peu après sa victoire électorale.

C’est là que trois juges, Leandro Paulsen, Victor Laus et Joao Pedro Gebran Neto, scrutés par les caméras, dans une ville placée sous haute sécurité, décideront, ou pas, de confirmer la condamnation prononcée par le juge Sergio Moro en juillet 2017 : 9 ans et 6 mois de prison à l’encontre du « père des pauvres », jugé coupable de « corruption passive » et de « blanchiment d’argent ». Trois juges à même de signer la mort politique de l’ancien chef d’Etat et de faire basculer la campagne présidentielle de 2018 dans une situation inédite.

  • De quoi est accusé Lula ?

L’affaire dite du « triplex » concerne un détournement de fonds lié au scandale Petrobras, ce groupe pétrolier public dont les caisses ont été pillées par des politiques de tous bords. Afin de rafler un juteux contrat auprès de la major, le groupe brésilien de bâtiment et travaux publics OAS aurait déboursé quelque 87,6 millions de reais (22,3 millions d’euros).

Une partie de cet argent aurait consisté à « offrir » un appartement de trois étages situé à Guaruja, station balnéaire prisée des habitants de Sao Paulo, à Lula et à son épouse, Marisa. L’ancien président et Marisa (décédée en février 2017) ont, de fait, effectué un versement en 2005 de l’ordre de 200 000 reais pour l’achat d’un appartement dans l’immeuble concerné. Mais l’accusation, s’appuyant sur les aveux d’un cadre d’OAS, suspecte que cette somme masquait en réalité l’acquisition programmée d’un appartement de standing supérieur, bien plus onéreux, en exigeant, de surcroît, de la part d’OAS, de coûteux travaux de rénovation.

En 2015, alors que les soupçons de malversation s’accumulent, Lula et Marisa renoncent à leur achat. Malgré cette volte-face et en dépit du fait que l’appartement ait toujours été au nom d’OAS, l’accusation estime, s’appuyant notamment sur les aveux de l’ancien président d’OAS, Leo Pinheiro, que le couple était le destinataire du bien et évalue le préjudice à 2,42 millions de reais (soit le différentiel de valeur entre l’appartement simple et le triplex et les travaux de rénovation).

« Le seul résultat possible, c’est l’absolution. Une personne qui n’a pas commis de crime ne peut être condamnée », affirment les avocats de Lula, dénonçant l’acharnement du juge Moro. « Il y a bien plus dans ce dossier que ce que révèle la presse. Lula est cuit », prétend pour sa part un avocat de Porto Alegre.

  • Qu’adviendra-t-il si Lula est condamné ?

Si une majorité des juges confirment la condamnation en première instance, Lula devient a priori inéligible en vertu de la loi « ficha limpa » (« casier propre »). Le texte, signé en 2010 par… Lula, empêche un condamné en deuxième instance de se présenter à une élection.

Mais l’accusé peut faire appel, réclamant des embargos de declaraçao, un recours visant à éclaircir les points du jugement, ou des embargos infringentes, visant à questionner les divergences entre les juges. L’examen de ces recours sera fait par le même tribunal et même si le jugement est au final confirmé, le dispositif permettra de le suspendre quelques mois.

A ceux qui pensent l’abattre, « Lula » offrirait ainsi un signe ultime de résistance. « Quel que soit le résultat [du jugement], je continuerait à luter », à prévenu Lula lors d’une manifestation de soutien à Porto Alegre, mardi 23 janvier où était aussi présente Dilma Rousseff. « J’ai 72 ans mais l’énergie d’un homme de trente ans et la tension d’un de 20 ans », a-t-il ajouté.

Selon les experts, les recours offriraient à l’ancien chef d’Etat un « sursis » estimé à environ six mois. Assez pour permettre au professionnel des estrades de se lancer dans la campagne présidentielle avant l’enregistrement officiel des candidatures, en août. Quel que soit le verdict, la direction du PT a déjà préju d’annoncer officiellement la candidature de Lula, jeudi 25 janvier, au lendemain du jugement.

Lula, crédité de 36 % d’intentions de vote contre 18 % pour le numéro deux, selon un sondage Datafolha, pense ainsi asseoir sa popularité, s’érigeant en victime d’un système judiciaire qui se focalise sur sa personne, laissant ses opposants, tels le sénateur Aecio Neves ou le président Michel Temer, en liberté malgré de lourdes charges. Il promet aussi de réitérer les prouesses économiques et sociales de ses deux premiers mandats, tout en réconciliant un pays déchiré depuis la destitution de sa dauphine, Dilma Rousseff, en 2016. Comme en 2002, Lula écrira une « Carta ao povo brasileiro » (la lettre au peuple brésilien) afin de détailler son programme tentant d’apaiser les marchés financiers inquiets de son retour.

Si au terme de l’examen des recours, si sa condamnation est confirmée, le Tribunal supérieur électoral (TSE) devra évaluer ou non la validité de sa candidature. « Il est difficile dans ce cas d’imaginer Lula candidat, mais la justice brésilienne est coutumière des décisions hétérodoxes. Et au fil des mois, le jugement deviendra bien plus politique que juridique », souligne Ivar Hartmann, professeur de droit à la Fondation Getulio Vargas, à Rio de Janeiro.

Les alliés de Lula répètent qu’une élection sans leur idole serait frauduleuse, et les ennemis de l’ancien syndicaliste eux aussi semblent préférer vaincre leur adversaire dans les urnes plutôt que devant les tribunaux, de peur de faire du défenseur des plus humbles un martyr. « Je pense que si Lula devait participer aux élections, ce serait une chose démocratique », a même affirmé lors d’un entretien au quotidien Folha de Sao Paulo, le 20 janvier, le président Michel Temer, devenu la bête noire de la gauche.

  • Et si Lula était innocenté ?

Dans le cas où une majorité de juges contredit Sergio Moro en décidant d’innocenter l’accusé, Lula serait libre de se présenter à l’élection 2018. Mais le ministère public, équivalent brésilien du parquet, peut, lui aussi, faire appel de cette décision.

A en croire les médias brésiliens, l’hypothèse d’une absolution de Lula en deuxième instance est peu probable. « Sur 77 condamnés par Moro, seuls 5 ont été absous », écrit le quotidien Estado de Sao Paulo dans son édition du lundi 22 janvier. Blanchi dans l’affaire du triplex, Lula resterait aussi sous la menace de huit autres procédures lancées à son encontre pour corruption ou trafic d’influence, notamment.

  • Que se passe-t-il pour le PT si Lula ne peut être candidat ?

« Il n’y a pas de plan B », affirme un proche de Lula. A 72 ans, Lula l’increvable, dont la vie se confond avec son engagement politique, n’est pas prêt à jeter l’éponge, quitte à défier la justice jusqu’au bout. Le charisme et le génie politique d’un homme parti de rien ont rendu la question de sa succession problématique. Le sujet, explique un cadre du Parti des travailleurs (PT, gauche), la formation de Lula, n’est même pas abordé en sa présence.

Il faudra toutefois l’évoquer si la justice barre la route de l’ancien président, voire le met derrière les barreaux. Dans ce cas, les noms de Fernando Haddad, l’ancien maire de Sao Paulo, ou de Jaques Wagner, ex-gouverneur de l’Etat de Bahia, circulent comme potentiels suppléants. Il se murmure aussi que Ciro Gomes, candidat pour le Parti démocratique travailliste (PDT, centre gauche), pourrait nouer une alliance avec le PT.