Richard Corben est le cinquième Américain à recevoir le Grand Prix d’Angoulême. / DONA CORBEN

Il aurait été anormal que la science-fiction et la fantasy figurent si peu au panthéon du Festival d’Angoulême. La nomination, mercredi 24 janvier, à la veille de la 45e édition de la manifestation, de Richard Corben au palmarès des « Grand Prix », est un événement pour les lecteurs assidus de ces deux genres majeurs de la bande dessinée contemporaine.

Désigné par les professionnels du secteur, aux dépens de son compatriote Chris Ware et du Français Emmanuel Guibert qui étaient arrivés en tête avec lui du premier tour de scrutin, le dessinateur de 77 ans est le cinquième Américain à recevoir cette distinction, après Will Eisner (1975), Robert Crumb (1999), Art Spiegelman (2011) et Bill Watterson (2014). Sa désignation célèbre un styliste hors pair et un maître de l’horreur, mais aussi un adaptateur scrupuleux d’Howard Phillips Lovecraft et d’Edgar Alan Poe, deux de ses principales influences.

Zombies, femmes délurées, gladiateurs survitaminés…

On pourrait résumer l’œuvre de Richard Corben au casting et au bestiaire qui peuplent les dizaines d’albums qu’il a publiés en plus de quarante-cinq ans de carrière. S’y croisent une foule de mutants, zombies, créatures marécageuses, sorcières, détrousseurs de tombes, gladiateurs survitaminés, monstres simiesques, guerriers tribaux, spectres aux blousons cloutés, femmes délurées, animaux diaboliques et barbares de tout poil.

Dessins extraits de « Ratgod », album de Richard Corben sorti en 2016. / Delirium

Pilier à ses débuts des éditions Warren Publishing, à travers les magazines d’horreur Creepy, Eerie et Vampirella, Corben a développé une esthétique unique qui emprunte autant la culture « pulp » qu’à la littérature fantastique. Son travail doit aussi beaucoup à Robert E. Howard, le fondateur de l’heroic fantasy à travers les aventures de Conan le barbare, dont il dessina quelques histoires.

« L’archétype de l’auteur indépendant »

Né à Anderson (Missouri) en 1940, Richard Corben est connu de longue date en France. Le magazine Actuel fut le premier à le publier dès 1972. Trois ans plus tard, Métal hurlant accueillait dans ses pages sa série Den, contant les aventures érotico-fantastiques d’un jeune geek ayant muté en guerrier bodybuildé. Sa technique à l’aérographe – un pistolet à peinture miniature – lui vaut alors une forme d’adoration de la part de lecteurs « adultes » à qui, enfin, de la bande dessinée est proposée. Corben devient un auteur « culte », ce qui sera un peu son problème par la suite, ne parvenant jamais à toucher un large public dans son propre pays ou en Europe, en dépit de quelques collaborations fameuses, comme sur Hellboy, de Mike Mignola.

Resté fidèle à son univers si particulier, le résident de Kansas City, la ville où il reçu sa formation artistique, est « l’archétype de l’auteur indépendant », selon Laurent Lerner, le fondateur de la petite maison d’édition française Delirium, qui édite en France ses créations depuis quelques années : « Il est indépendant de tout : du marché, du marketing, des médias, des lecteurs, des éditeurs… Sa démarche artistique n’a jamais dévié de la direction qu’il a prise au début de sa carrière. » Celle-ci a connu des hauts et des bas, et même des grands moments de solitude.

« J’ai encore des buts à atteindre, je ne prendrai donc sûrement jamais ma retraite »

Dans une interview figurant à la fin de Ragemoor (Delirium, 2014), un récit fantastique réalisé avec le scénariste Jan Strnad, Richard Corben explique pourquoi lui, le maître de la couleur, a opté pour un traitement en noir et blanc : « Lors de la conception de ce projet, je ne savais pas s’il trouverait une place chez Dark Horse ou chez un autre éditeur [de grosse taille]. Je pensais qu’il me faudrait le présenter à des plus petits éditeurs qui n’auraient pas les moyens de le publier en couleurs. »

« Ragemoor » (Delirium, 2014). / Delirium

Le dessinateur faisait également le point sur sa « longue carrière » et sur la poursuite de celle-ci malgré son grand âge : « J’adore toujours les possibilités offertes par la BD, en tant que moyen d’expression, pour raconter les histoires que je veux raconter, et pas seulement celles qui se vendent bien. J’ai encore des buts à atteindre, je ne prendrai donc sûrement jamais ma retraite. Je continuerai à dessiner des BD jusqu’à ma mort. »