Nicole Belloubet après son rendez-vous avec les syndicats, le 22 janvier. / THOMAS SAMSON / AFP

« Ministre techno », empreinte de « désinvolture », incapable de « prendre la mesure » de la « détresse » du personnel pénitentiaire… Après dix jours de crise dans les prisons, les critiques de l’opposition ciblent la ministre de la justice, Nicole Belloubet, en première ligne dans le conflit qui oppose le gouvernement aux surveillants pénitentiaires. Cette crise, l’une des plus importantes dans les prisons depuis vingt-cinq ans, s’est soldée par un premier échec pour la garde des sceaux, mardi 23 janvier, quand les syndicats ont quitté la table des négociations, rejetant les propositions du gouvernement.

Alors que la ministre estime avoir consenti un « effort tout à fait considérable » en promettant la création de 1 100 postes sur quatre ans et s’est engagée à examiner des « mesures indemnitaires spécifiques et ciblées » en faveur du personnel pénitentiaire, les syndicats dénoncent des mesures insuffisantes, voire insultantes, critiquant une offre de « prime à l’agression » et ironisant sur le fait que « la vie d’un surveillant ne vaut pas cher ».

La droite s’en est immédiatement prise à la gestion de la crise de la garde des sceaux, mais c’est la gauche qui a été la plus virulente, attaquant le profil trop « techno » de la ministre.

Technocrate et engagée

Technocrate, Nicole Belloubet l’est assurément. Professeur de droit de formation – seule professeure de droit à siéger au Conseil constitutionnel entre 2013 et 2017 –, reçue deuxième à l’agrégation de droit public en 1992, elle est avant tout considérée comme une travailleuse assidue, voire acharnée.

Décrite comme une technicienne qui n’aime pas se mettre en avant, la juriste de 62 ans n’avait jamais cherché à être exposée en première ligne avant sa nomination au gouvernement, le 22 juin, en remplacement de François Bayrou.

Les coups d’éclat ne lui sont pourtant pas étrangers. Après trois ans comme rectrice de l’académie de Limoges, elle devient rectrice de l’académie de Toulouse en 2000. Cinq ans plus tard, elle fait de sa démission un véritable acte politique, rare à cette fonction. A l’époque, François Fillon est ministre de l’éducation nationale et mène une politique qui conduit à la perte de plusieurs centaines de postes en trois ans dans l’académie de Toulouse. Pour afficher son désaccord, la rectrice renonce à son poste en 2005 et adresse une lettre aux cadres de l’académie où elle écrit :

« Je ne pense pas trouver, désormais, la force de conviction suffisante pour servir le ministère de l’éducation nationale au niveau de détermination qu’exige ma conception de l’éthique professionnelle. »

Car si Mme Belloubet est connue comme une spécialiste et une gestionnaire, elle est aussi une femme politique, réputée pour ses convictions de gauche. Adhérente au Parti socialiste dans les années 1980, elle est candidate à une élection municipale pour la première fois en 1989 et devient conseillère municipale de Saint-Rémy-les-Chevreuses (Yvelines) jusqu’en 1996.

En 2008, elle est élue à Toulouse, avant de devenir vice-présidente de la région Midi-Pyrénées en 2010. A son entrée au Conseil constitutionnel en 2013, elle avait d’ailleurs déclaré à la presse régionale : « l’action politique me manque. »

« Elle ne connaît pas la justice ni les prisons »

C’est dans l’un des ministères les plus exposés qu’elle a fait son retour en politique en juin. Dès sa nomination au gouvernement, elle est confrontée aux résistances des parlementaires sur la loi de moralisation de la vie publique, avant de devoir défendre la loi controversée destinée à faire entrer les dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun. « Je ne suis pas sûre de réussir, mais j’ai l’espoir d’y parvenir. J’y travaille », avait-elle dit à Libération le 16 novembre.

Le rattrapage budgétaire de la justice et le risque d’une crise de nerfs dans l’administration pénitentiaire étaient, elle le savait, des questions latentes dès son arrivée au ministère. « La situation de l’administration pénitentiaire et des prisons ne date pas d’il y a six mois [mais] de plusieurs décennies », a-t-elle déclaré mardi sur LCI.

« Elle ne connaît pas la justice ni les prisons, mais elle a une telle capacité de travail qu’elle y arrivera », avait assuré son amie Pascale Gonod, professeure de droit public à l’université Paris-I, au Monde en juillet. Au dixième jour de contestation dans les prisons, cette capacité de travail n’a, pour l’heure, pas suffi à éteindre la crise.