Des gardiens de prison en grève face à la police devant la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), mercredi 24 janvier. / Michel Euler / AP

Editorial du « Monde ». Le conflit social dans les prisons françaises est dans l’impasse. Après dix jours de blocage des établissements pénitentiaires, ce qui en fait le plus long mouvement depuis vingt-cinq ans, les négociations entre les syndicats de surveillants et la ministre de la justice, Nicole Belloubet, ont échoué, mardi 23 janvier. Cette protestation, qui a pris par surprise le gouvernement, n’a pourtant rien d’étonnant au regard de l’état du système carcéral.

La surpopulation (69 714 détenus pour 59 165 places) et la vétusté de beaucoup d’établissements ont fini par générer des conditions de détention indignes pour les uns et un environnement de travail dégradé pour les autres. Le cercle vicieux est implacable. La promiscuité est un terreau favorable à la violence, qui elle-même appelle une discipline brutale, entretenant ­incompréhension et mépris de part et d’autre des barreaux.

Dans de telles conditions, la partie valorisante du métier de surveillant, l’accompagnement personnalisé des détenus, disparaît au profit du rôle de porteur de clés uniquement là pour gérer les allées et venues des cellules vers la cour de promenade ou les parloirs. Ce huis clos où la tension est permanente se trouve généralement loin des regards. Il s’est construit avec l’assentiment tacite d’une société qui cherche avant tout à ne plus entendre parler de ceux qu’elle a condamnés, entraînant dans un même sort ceux qu’elle a chargés de les surveiller.

Il a suffi d’une étincelle, l’agression, le 11 janvier, par un détenu djihadiste de trois surveillants du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), pour mobiliser une profession qui réclame légitimement plus de moyens pour mieux se protéger et plus de considération pour mieux exercer son métier.

Si le phénomène de la radicalisation en prison constitue la nouveauté de ce conflit social et même s’il s’amplifie, il ne concerne qu’une minorité de surveillants. Le nombre de personnes détenues pour des faits liés au terrorisme est passé de 241 à 505 en deux ans, tandis que 1 500 détenus de droit commun sont considérés comme radicalisés. Le djihadisme en prison est un problème complexe, dont on n’a pas encore véritablement pris la mesure, mais il n’est qu’une des facettes d’une crise structurelle du système carcéral français.

Pas de baguette magique

Celle-ci ne se réglera pas d’un coup de baguette magique. Les prisons souffrent d’un sous-investissement chronique. Le plan en cours de construction de 15 000 places sera étalé jusqu’en 2025. Il aura donc un impact marginal sur les capacités d’ici à la fin du quinquennat. Parallèlement, le développement des peines alternatives à la prison n’aura d’effet qu’à long terme, tant la révolution culturelle à mener sur ce plan s’annonce difficile.

Reste que le gouvernement a tardé à prendre la mesure du mécontentement. Il était temps que des négociations s’ouvrent sur les questions d’effectifs pour combler les postes vacants ; de sécurité, en durcissant les règles concernant les fouilles des détenus et en améliorant les équipements de sécurité ; de rémunération, enfin, afin de rendre ce métier un peu plus attrayant. L’écart entre les revendications des gardiens et les propositions du gouvernement est proportionnel au désintérêt de la société dans son ensemble pour l’univers carcéral. Les rapprocher ne sera que la première étape d’un processus plus ambitieux pour rendre enfin nos prisons un peu moins indignes.