Editorial du « Monde ». Depuis trente ans, les rapports de parlementaires ou d’experts se sont succédé avec une belle régularité. Tous ont fait le même constat, qui confine à l’absurde.

En effet, la France est l’un des pays développés qui disposent des législations les plus sévères contre le trafic et l’usage de stupéfiants en général et de cannabis en particulier. Depuis la loi de 1970, la consommation de cannabis est un délit pénal, passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Cette législation répressive est justifiée par un impératif de santé publique : la consommation précoce de cannabis, surtout si elle est régulière, est dangereuse, elle ralentit le développement intellectuel et accentue les risques de troubles psychiques.

Pourtant, nous sommes (avec le Danemark) le pays européen où l’usage du cannabis est le plus répandu. Pas moins de 17 millions de personnes l’ont déjà expérimenté, dont un collégien sur dix et deux lycéens sur cinq. En 2016, l’on comptait 5 millions d’« usagers », dont 1,4 million de « réguliers ». En 2016 toujours, quelque 140 000 personnes ont été interpellées pour usage de stupéfiants, un peu plus de 3 000 ont été condamnées à des peines de prison, dont à peine 1 300 de prison ferme.

La crainte d’être accusé de laxisme

Comme les précédents, le rapport que deux députés viennent de remettre au gouvernement conclut donc que la prohibition n’a en rien empêché la banalisation – et la « dépénalisation de fait » – de la consommation de cannabis. Inefficace, la législation répressive en vigueur est, en outre, aussi chronophage que coûteuse pour la police et la justice. Et elle n’a pas manqué de favoriser le développement d’un marché clandestin de type mafieux.

Mais comme la plupart de leurs prédécesseurs, les deux rapporteurs, Eric Poulliat (La République en marche) et Robin Reda (Les Républicains), apparaissent bien embarrassés et frileux au moment de formuler des propositions pour sortir de l’impasse. Paradoxalement, c’est le député de droite qui est le plus fidèle à la promesse faite par le candidat Macron il y a un an : il préconise d’infliger aux consommateurs de cannabis une contravention forfaitaire (de quatrième ou de cinquième classe), ce qui conduirait à une dépénalisation puisque la qualification de délit serait abandonnée. En revanche, le député de la majorité propose lui aussi une amende forfaitaire, mais dans le cadre pénal de la loi de 1970. Sans surprise, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, vient d’approuver cette seconde option, la plus restrictive.

Alors que plusieurs Etats européens (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas…) et une trentaine d’Etats des Etats-Unis ont progressivement dépénalisé la consommation de cannabis, alors que d’autres (comme la Californie depuis début janvier) ont franchi le pas d’une légalisation de l’usage récréatif du cannabis, l’attitude des autorités françaises apparaît donc étonnamment conservatrice. Aux antipodes de la philosophie libérale prônée, d’une manière générale, par le chef de l’Etat.

Tout se passe comme si la crainte d’être accusé de laxisme interdisait toute réflexion progressiste en la matière. Renoncer à modifier la loi de 1970 et son interdit moralisateur revient, en effet, à pérenniser tous les travers de la situation actuelle, à laisser prospérer le marché clandestin du cannabis (au lieu de le contrôler et de le réguler) et à se dispenser d’une véritable politique de prévention. Regrettable pusillanimité.