A Paris, jeudi 25 janvier. / CHRISTOPHE ENA / AP

La Seine n’en finit plus de grimper. Le pic, attendu samedi 27 janvier, pourrait atteindre, voire dépasser, celui du printemps 2016 avec 6,10 mètres d’eau. Depuis ce dernier épisode de crues, des initiatives importantes ont été engagées afin de prévenir le risque d’inondation majeure à Paris et dans la région Ile-de-France, selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié le 23 janvier.

Mais si « l’ensemble des acteurs a pris conscience qu’il fallait agir », note Charles Baubion, expert en gestion des risques de l’OCDE et auteur du rapport, « on attend encore de voir des réalisations côté urbanisme et infrastructures ».

Depuis les crues de 2016, qu’est-ce qui a changé dans la gestion du risque d’inondation à Paris et sur le bassin de la Seine ?

Charles Baubion : Il y a une dynamique indéniable qui s’est mise en place il y a environ cinq ans, et qui s’est amplifiée à la suite des crues de 2016. L’ensemble des acteurs a pris conscience qu’il fallait agir, grâce notamment à une sensibilisation du grand public. Ce qui est positif, c’est qu’on sent que les conditions sont réunies pour passer à la vitesse supérieure.

Aujourd’hui, le constat est que Paris reste relativement bien protégé, tandis que la métropole francilienne dans son ensemble l’est moins. Pour améliorer la situation, il y a des projets intéressants qui sont à l’étude. Des moyens supplémentaires ont aussi été débloqués, avec notamment 88 millions d’euros supplémentaires consacrés au sujet sur quatre ans, mais ce n’est pas encore à la hauteur des enjeux économiques de ce risque.

Qu’est-ce qui fait encore défaut ?

En termes de gouvernance, ce qui manque encore, c’est un leadership politique, une structure capable d’assumer la stratégie et de la conduire sur le long terme. L’échelle du Grand Paris serait une option intéressante pour établir ce genre de structure, dans une région aussi complexe administrativement que la région Ile-de-France. Par exemple, les départements gèrent les digues, les mairies sont responsables de la sécurité, il y a aussi la préfecture, etc.

Dans l’ensemble, il y a des bonnes volontés, mais on attend encore de voir des réalisations côté urbanisme et infrastructures. Il n’y a, par exemple, toujours pas de quartier résilient aux inondations, malgré les volontés affichées par la Mairie de Paris, notamment sur la future zone d’aménagement concerté Bercy-Charenton.

On attend encore des applications concrètes. A cet égard, le village olympique, dont l’emplacement est situé en zone inondable, pourrait être une manière de montrer nos capacités d’innovations, et permettre à la France d’en faire une vitrine pour montrer que faire des constructions pérennes ne présente par de surcoûts si élevés.

De manière générale, il faut rappeler qu’il est moins coûteux d’investir avant une catastrophe que de réparer derrière. Car c’est le dernier volet de ce qui fait défaut : le financement n’est pas encore à la mesure du problème.

Comment expliquer ce retard pris par la métropole parisienne ?

Des villes européennes comme Oslo et Francfort ont fait des efforts très importants en termes de prévention du risque d’inondations. La ville de Tokyo, elle, s’est dotée d’infrastructures lui permettant de répondre à un risque de crues très important, de l’ordre de celles qui n’arrivent que tous les deux cents ans.

Dans la région parisienne, on avait oublié le risque d’inondations depuis 1955, parce qu’il n’y a quasiment pas eu d’épisodes de crues en soixante ans. Les plans de prévention du risque au niveau national et les moyens alloués se sont donc concentrés sur d’autres enjeux, comme la prévention dans le sud de la France, où les épisodes d’inondations sont très soudains et peuvent avoir des répercussions lourdes vue la densité de l’habitat. De même, le littoral atlantique avait été une priorité nationale, notamment après l’épisode de la tempête Xynthia en 2010.

A Paris, les inondations sont plus lentes, donc moins violentes en termes humains, ce qui a conduit à mettre ce risque un peu de côté. Les conséquences économiques d’une crue majeure pourraient pourtant être désastreuses.

Les chiffrages réalisés par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) dans son rapport évoquent une fourchette de 3 milliards à 30 milliards d’euros de conséquences économiques, que recoupent ces chiffres ?

Nous nous sommes basés sur trois scénarios, tous adossés à la crue de 1910. Le premier, avec une hypothèse à 80 % du débit de 1910, donnerait lieu à une crise majoritairement contenue. Avec une hauteur de 7,32 mètres à Austerlitz, il y aurait 100 000 personnes affectées, deux semaines de perturbations, et environ 3 milliards d’euros de dommages, pour les particuliers, les entreprises (stocks, structures, etc.), et les infrastructures publiques (eau, électricité, etc.).

Le deuxième scénario, avec 100 % du débit de 1910, mais une hauteur de 8,12 mètres à Austerlitz, donne déjà des débordements importants en banlieue, 600 000 personnes affectées, un mois de perturbation et environ 14 milliards de dommages.

Enfin, le dernier scénario, qui projette une crue 15 % plus importante que 1910, c’est un million de personnes directement affectées et 5 millions indirectement (coupures d’électricité, d’eau, etc.), des mois de perturbation, et 30 milliards de dommages. Sans compter qu’il y aurait également des conséquences macroéconomiques, avec la perte d’un tiers du produit intérieur brut (PIB), jusqu’à 400 000 pertes d’emploi, et des conséquences lourdes sur les finances publiques pour plusieurs années.

Pour rappel, en 2016, les crues avaient déjà coûté près de 1,4 milliard d’euros. On était à quelques centimètres de fermer le RER A ; ce qui aurait eu des conséquences beaucoup plus lourdes.