Les surveillants de la prison de Maubeuge (Nord) en bloquent l’accès, le 24 janvier. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Alors que le conflit des surveillants de prison prend un caractère exceptionnel avec de nombreux « dépôts de clés », Jean-Charles Froment replace ce conflit dans l’histoire de la pénitentiaire. Selon ce professeur, les gardiens reproduisent les contradictions de l’Etat sur la fonction qu’il assigne à la prison.

En quoi le conflit de janvier 2018 diffère des précédents ?

Depuis vingt ans, il y a une concurrence syndicale propice à la surenchère entre l’UFAP, FO et la CGT. Une telle situation existe dans d’autres domaines de la fonction publique, mais pour l’administration pénitentiaire c’est quelque chose qui ne lui était pas du tout naturel. Jusqu’à la fin des années 1980, un syndicat hégémonique, en l’occurrence FO, était quasiment en situation de cogestion et les mouvements étaient beaucoup plus contrôlés. Depuis, les équilibres ont éclaté et la gestion des relations sociales dans la pénitentiaire ne s’en est jamais réellement sortie.

Est-ce l’explication du caractère hors norme du mouvement en cours ?

Quand je remets en perspective les mouvements de ces cinquante dernières années, je ne le trouve pas si hors norme que cela. On a eu plusieurs accès de colère des personnels pénitentiaires sous la Ve République. Le statut spécial accordé aux surveillants en 1958 faisait suite à une importante grève en 1957. En échange de la suppression de leur droit de grève, les surveillants avaient obtenu une sur-indiciation financière. Puis il y a eu les grands mouvements de la fin des années 1980, avec trois grandes grèves en 1988, 1989 et 1992. Tous ces conflits ont été marqués par les mêmes logiques, notamment du point de vue des revendications statutaires. La constante est la référence au statut des gardiens de la paix dans la fonction publique.

Mais le métier de surveillant a évolué et les préoccupations avec…

Le contexte évolue et les arguments changent, mais sur le fond, les surveillants sont toujours à la recherche d’une identité professionnelle. Ils se sentent incapables de la trouver en dehors d’une référence à l’extérieur, celle de la police. La mémoire collective n’a jamais réussi à échapper à une contradiction entre leurs deux pôles d’attraction. Leur métier est d’abord rattaché à la justice, avec en particulier une dimension de relations humaines au quotidien et de suivi dans l’exécution d’une peine. Ils sont très attachés à cette mission, mais ont du mal à construire leur identité dessus.

L’attraction vers le ministère de l’intérieur, au nom de la mission de sécurité qu’ils exercent, a toujours été très forte. Ils reproduisent les contradictions de l’Etat sur la fonction qu’il assigne à la prison. L’opinion publique elle-même est schizophrénique à l’égard des surveillants. Elle est prompte à entretenir l’image du maton, soupçonné de tous les maux possibles de violence et de corruption, et d’appeler dans le même temps la justice à davantage de sévérité avec la prison tenue pour seule sanction légitime. Ce regard négatif que leur renvoie la société est très dur à vivre.