A Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), jeudi 25 janvier. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Comme un très bref moment de répit avant une probable aggravation de la situation vendredi dans la soirée et samedi. Dans la salle du Centre opérationnel départemental (COD) du Val-de-Marne, à Créteil, un nouveau point d’actualisation sur les crues de la Seine et de la Marne se tient jeudi 25 janvier, en début d’après-midi. Au point de mesure d’Alfortville, sur la Seine, la cote est alors de 2,96 mètres, mais elle pourrait monter jusqu’à 3,70 m durant le week-end. Elle n’avait pas dépassé 3,65 m durant la crue du printemps 2016. Au poste de Gournay, sur la Seine moyenne, le niveau atteignait 5,28 m jeudi matin, mais devait encore progresser. Atteindra-t-il son record de 2016 de 6,99 m ?

Personne ne se risque ici à un pronostic trop précis, mais la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie annonce que le fleuve pourrait atteindre la cote de 6,20 m au point de référence de Paris-Austerlitz, soit davantage que lors de l’épisode de juin 2016. La situation est cependant différente d’il y a vingt mois. Lente, la montée des eaux permet aux autorités d’anticiper et aux habitants de mieux se préparer.

Dans la salle du COD, tout le monde guette les bulletins de Vigicrues. Pour l’heure, la situation semble sous contrôle. La dizaine de participants – représentants de divers services de l’Etat, du rectorat, de l’agence régionale de santé, du conseil départemental, du distributeur d’électricité Enedis… – recense les différentes mesures déjà prises : évacuation de malades, surveillance renforcée pour les établissements de santé, les écoles. Les transports fonctionnent encore, seule la ligne C du RER étant coupée à Paris. Et l’importante gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges ne semble pas menacée. Environ 400 abonnés sont déjà privés d’électricité, 4 000 foyers seraient potentiellement concernés par une montée plus importante des eaux, selon le représentant d’Enedis.

« Aide aux déplacements »

Au total, explique-t-on au cabinet du préfet, « sur les 10 000 personnes qui pourraient être affectées dans le pire des scénarios, au-delà des niveaux de 2016, moins d’un tiers sont touchées aujourd’hui ». Touchées, mais très peu ont été évacuées. Sur les trois gymnases équipés (lits, vivres…) pour accueillir les personnes ayant choisi de quitter leur domicile de Villeneuve-Saint-Georges, seule la moitié était remplie. « Dans les centres d’accueil, nous avons des couvertures, des kits d’hygiène pour les femmes et les hommes, et une soixantaine de volontaires sont mobilisés depuis le début de la semaine », annonce cependant Philippe Garcia-Marotta, le président de la Croix-Rouge du Val-de-Marne.

« Nous hébergeons 180 personnes actuellement, mais beaucoup d’autres sont parties dans leurs familles. On a privilégié une politique d’aide aux déplacements plutôt que l’évacuation, et les quatre camions militaires qui étaient venus prêter main-forte, mardi, sont déjà repartis », précise Sylvie Altman, la maire (PCF) de Villeneuve-Saint-Georges, ville de 30 000 habitants traversée par la Seine et l’Yerres.

Rue du Château, Samy, Alexandre et Vincent, trois employés municipaux (qui n’ont pas voulu préciser leurs noms), attendent leurs « clients » assis dans une barque. Bateliers d’occasion – ils sont respectivement plombier, livreur-magasinier ou polyvalent pour la mairie –, les trois jeunes gens sont hélés par un couple qui veut quitter sa maison pour rejoindre la terre ferme. Après un rapide aller-retour à pousser et à tirer la barque, sur quelque deux cents mètres de rue inondée, tandis que l’eau dépasse juste la ceinture, Monji Ben Zrig et son épouse sont déposés au sec. « Ras le bol, ça fait deux fois en deux ans. Déjà en 2016, on a dû jeter toute la cuisine. On a tout refait mais tout est encastré, on ne peut rien démonter pour mettre à l’abri », peste cet habitant, qui a acheté en 2001.

« Eviter l’arrivée des rats »

A deux rues de là, la situation est plus chaotique. Les débris sont portés par les eaux. Rue de Belle-Place, Séverine Lebœuf pousse rageusement sa pelle. « Depuis 7 heures du matin, on essaye de nettoyer, il faut éviter l’arrivée des rats, comme en 2016 », explique la jeune femme.

Sa maison est à quelques mètres seulement de la nappe d’eau. Dans quelques heures, elle l’aura atteinte. Un attroupement s’est formé : des voisins constatent l’arrivée de l’eau, des policiers municipaux viennent s’enquérir de la situation, des agents d’Enedis étudient la nécessité de couper ou non l’électricité, tandis que débarque la brigade fluviale. Alors que les trois agents s’équipent, Robert Nguyen essaye de les convaincre de le conduire dans leur puissant Zodiac au bout du quartier, quasiment au bord de l’Yerres. C’est là, rue Blandin, que l’Association caodaïste en France, une religion répandue au Vietnam, a son local. « Il y a quasiment deux mètres d’eau et le premier étage risque d’être inondé, là où nous avons stocké tous nos papiers administratifs », dit le religieux. Moment d’hésitation chez les policiers de la brigade fluviale. « Nous ne sommes pas là pour ça, notre tâche c’est la sécurisation et l’évacuation des personnes encore chez elles », dit l’un des fonctionnaires, avant de céder devant l’insistance de l’ancien.

Comme la plupart des 1 200 habitants de ce quartier de Belleplace-Blandin, à la confluence de la Seine et de l’Yerres, Philippe Maertens confie son amertume. « Cela fait trente ans que j’habite ici et je n’avais jamais vu une goutte d’eau avant 2016. J’ai déjà pris cher cette année-là : sur 120 000 euros de dégâts que j’avais fait expertiser, l’assurance ne m’en a donné que 20 000 », raconte le quadragénaire, occupé à pomper le puisard de son jardin.

Comme nombre de ses voisins, il relaie les rumeurs sur des tentatives de pillage. Dans ce quartier vivent plusieurs communautés, moldave, roumaine, gitane, dans des caravanes ou des maisons. Le campement installé en bord de rivière a déjà été évacué, mais les caravanes sont restées, submergées par l’eau. On dit avoir vu des Roms venir repérer les lieux en camionnette et s’enquérir de la présence des habitants. Au COD de Créteil, un responsable de la préfecture précise avoir donné consigne à la police d’être bien visible, mais aucune plainte n’avait encore été déposée, jeudi soir.

Politique de rachat des maisons

La surveillance est générale. Et les entreprises ne sont pas en reste. Sur l’échelle qui plonge dans les eaux ocre de la darse du port de Villeneuve-le-Roi, juste en face de Villeneuve-Saint-Georges, la marque indique, jeudi matin, 32,70 mètres (au-dessus du niveau de la mer).

« L’eau rentre sur le site à partir de 34 mètres. Lors de la crue de 2016, on avait atteint 33,70 m, c’était chaud », se souvient Stéphane Rouchy, directeur adjoint du Groupement pétrolier du Val-de-Marne. Ce site classé « Seveso seuil haut » dispose d’une capacité d’environ 80 000 mètres cubes de stockage d’essence et de fuel et fournit 10 % environ de l’approvisionnement de l’Ile-de-France. « Nous allons vider tous les séparateurs [des bacs qui permettent de stocker les pétroles qui se seraient écoulés des pipes] pour éviter toute pollution et, si l’eau atteint 34 m, nous viderons aussi les cuves enterrées », annonce Stéphane Rouchy. Il faudra aussi s’assurer que les grandes citernes, posées sur le sol, soient assez remplies, et donc lourdes, pour ne pas être emportées par le courant.

Partout, l’expérience de 2016 sert de repère. « Nous avions subi une crue très rapide, alors que nous avons eu le temps, cette fois, d’informer et d’alerter les habitants », explique Sylvie Altman. Mais cela ne suffit pas, il faut continuer la politique de rachat des maisons en bord de rivière, poursuit-elle. Avec l’aide de l’Agence de l’eau et du conseil départemental, la mairie a déjà acquis une vingtaine d’habitations. Et, quand certains habitants se plaignent d’un prix de rachat trop bas et refusent de vendre, la maire rétorque que la procédure continuera : « A l’amiable ou bien en passant par une déclaration d’utilité publique, ce qui prendra un peu plus de temps. » Cette nouvelle crue la pousse à accélérer. Il faut rendre à la nature une partie des berges, cela servira de zone d’expansion, professe la maire de Villeneuve-Saint-Georges.