« Elle est dans sa chambre d’hôtel. Son chef frappe à la porte. Elle ouvre. Il la viole. » Le 19 janvier, dans les pages du quotidien colombien El Espectador, la journaliste Claudia Morales raconte un viol. Le sien. Les faits, précise-t-elle, remontent à plusieurs années. Son agresseur est « un personnage important de la vie nationale » dont elle choisit de taire le nom. Claudia Morales défend « le droit au silence » des victimes de harcèlement sexuel.

Le débat est lancé et le CV de Claudia Morales passé au crible. Sur les réseaux sociaux, les spéculations vont bon train, la liste des employeurs de Claudia circule et le nom de l’ancien président de la République Alvaro Uribe s’y détache. Mercredi 24, un Tweet du journaliste américain Jon Lee Anderson a converti la rumeur en information internationale. «#Yotambien est l’équivalent latino-américain du #MeToo. Buzz médiatique en Colombie sur les viols qu’aurait commis l’ex-président Alvaro Uribe », écrit le célèbre reporter.

M. Uribe dénonce alors une « grossière attaque politique ». « J’ai toujours été décent avec les femmes », a-t-il écrit sur son compte Twitter. A sa demande, la liste des voyages officiels auxquels Claudia Morales a participé a été rendue publique. Figure de proue de la droite dure, M. Uribe briguera aux législatives de mars un nouveau mandat de sénateur et entend peser sur la présidentielle de juin.

« Peur de parler »

Aujourd’hui âgée de 48 ans, Claudia Morales est une journaliste reconnue, au tempérament combatif. De 2003 à 2004, elle a travaillé pour le service de presse de la présidence de la République. « Depuis que la campagne #MeToo a commencé, je sentais le besoin de parler du sujet. Mais j’avais peur », écrit-elle dans sa chronique. Elle s’est finalement décidée à le faire, au vu de l’avalanche de critiques reçues par Marcela Gonzalez, une femme violentée en décembre 2017 par son mari blogueur, qui a finalement retiré sa plainte.

« Moi aussi j’aurais aimé qu’elle la maintienne. Mais qui sommes-nous pour la juger ? », interroge la journaliste. « Mon agresseur, vous le voyez et l’écoutez tous les jours », a-t-elle indiqué, à l’occasion d’une interview radio. Mais, craignant pour son intégrité et celle de sa fille, elle maintient la ligne du silence. « Claudia sait qu’elle n’a aucun moyen de prouver les faits qu’elle dénonce », explique une de ses proches, sans se prononcer sur l’identité du coupable.

« Rien n’oblige Claudia Morales à rompre son silence, ni même le doute immense qui plane sur le fait de savoir si Alvaro Uribe l’a violée. Mais un éclaircissement de sa part nous éviterait cette désagréable discussion et nous aiderait à revenir au vrai sujet qui est celui du pouvoir et du harcèlement sexuel », considère le journaliste Daniel Pacheco.

Pourquoi Claudia Morales refuse-t-elle de donner le nom de son agresseur ? « Parce que je ne suis pas Salma Hayek et qu’ici, en Colombie, nous n’avons pas une justice comparable à celle qui existe aux Etats Unis », a-t-elle affirmé à la radio. Plus de 18 000 plaintes pour viol ont été déposées en Colombie en 2017. Plus de 90 % ont été classées sans suite.

Sur la base du témoignage incomplet de Claudia Morales, le parquet s’est saisi d’office. L’enquête a été confiée au bureau des délits sexuels de Bogota.