Arbitre professionnel, Mikael Lesage est intervenu au cours d’une session de formation organisée à Houlgate (Calvados). / VALERY HACHE / AFP

La pluie glacée qui balaie la Normandie n’a pas découragé les apprentis musiciens. En cercle sur un terrain boueux du centre sportif d’Houlgate (Calvados), ils apprivoisent leurs sifflets en une symphonie désagréable. Attentif aux dissonances de la troupe, Mikael Lesage ne tarde pas à distiller ses premières corrections. Il appartient à la poignée de virtuoses de l’instrument strident chargés de diriger chaque semaine les rencontres de Ligue 1.

Le quadragénaire était l’invité, samedi 20 janvier, d’une session de formation organisée par le district du Calvados et réunissant une vingtaine d’aspirants arbitres, âgés de 15 à 35 ans, une semaine après « l’affaire Tony Chapron » – du nom de l’homme en noir coupable d’un croc-en-jambe sur un joueur et depuis devenu le défouloir des réseaux sociaux.

Opposant le frustrant devoir de réserve pour éconduire les friands de polémiques, Mikael Lesage dépeint une mission vouant qui l’accepte aux gémonies du ballon rond. Qu’il s’échine dans l’anonymat d’un terrain de campagne ou devant l’objectif implacable des caméras.

« Arbitrer, c’est être seul contre tous, surtout dans un monde paranoïaque où ceux qui ont un pouvoir de décision dérangent. Vous devrez être calmes et irréprochables. Le moindre comportement déviant ou inadapté vous condamnera. »

« Seul contre tous »

Dans la petite salle de classe du complexe sportif d’Houlgate, les 17 lois du jeu qui régissent la pratique du football se succèdent sur le tableau blanc. Pas le temps de s’étendre sur des règles dont l’application au plus haut niveau alimente chaque semaine les discussions de comptoir. Le but n’est pas tant de former des bataillons d’hommes et de femmes en noir capables de déclamer les mesures du terrain que de les préparer à officier sous la pression des clubs et des spectateurs.

« L’arbitre doit s’imposer et se faire respecter dès son arrivée sur le lieu de la rencontre, explique Christophe Lepleux, chargé d’animer cette formation. Sa première poignée de main, la propreté de sa tenue et le relationnel avec les dirigeants des deux côtés conditionneront sa maîtrise du match. »

« Rien n’est plus important que le premier coup de sifflet, abonde Mikael Lesage. Il doit être incisif, net, pour donner le ton et interpeller l’environnement. Si vous êtes timides, c’est foutu. »

Devant leur aîné, les élèves font tous vœux d’arbitrage. Beaucoup doivent pourtant leur séjour à Houlgate à la pression de leurs clubs respectifs. Chaque structure doit, en effet, compter en son sein un nombre minimum d’arbitres, sous peine de sanctions financières et de limitation des mutations, l’équivalent amateur des transferts de joueurs professionnels.

Quotas et dessous-de-table

« On ne se fait pas d’illusion : sur la vingtaine, deux ou trois sont là de leur propre chef. Les autres ont été poussés à venir par leur club », euphémise Dominique de la Cotte, président de la commission des arbitres du Calvados. Plusieurs apprentis ne cachent pas être venus pour « donner un coup de main » à leurs clubs, qui ont jusqu’au 31 janvier pour se mettre en conformité avec les quotas d’arbitres.

Tout en convenant de la nécessité de ces contraintes pour assurer la formation d’un nombre suffisant de « sifflets », Dominique de la Cotte regrette l’émergence d’un football amateur à deux vitesses. Face aux parents pauvres du district, tenus de former des arbitres pour éviter l’attaque au portefeuille, se dresseraient des clubs locaux prêts à ouvrir les cordons de leur bourse pour débaucher ceux du voisin. « Des dessous-de-table sont versés chaque année, partout en France, confirme, un brin désabusé, le dirigeant. Les clubs ne respectant par les quotas de la Fédération préféreront toujours donner l’argent à un arbitre qu’à la ligue. »

A raison d’une soixantaine d’euros par match, quelques-uns voient dans le sifflet un complément de salaire non négligeable. On est loin pourtant des émoluments touchés par les arbitres professionnels. Comptant parmi les 11 arbitres F1-Elite (plus haut niveau national), Mikael Lesage toucherait chaque mois un salaire mensuel de 6 200 euros, auquel s’ajoute une indemnité de 3 000 euros par match de Ligue 1 dirigé.

L’obole promise ne calme l’appréhension de certains, refroidis par la chronique des menaces, insultes et agressions recensées chaque semaine sur les pelouses françaises. Lors de la saison 2016-2017, 41 % des violences ou des incivilités recensées dans le football amateur visaient des arbitres, soit plus de 4 000 incidents.

« On ne peut pas éduquer les parents »

Venu présenter la protection juridique offerte par l’Union nationale des arbitres de football, dont il dirige l’antenne locale, Michaël Hergault se prévaut d’un « district du Calvados Bisounours, avec un seul incident grave en dix ans ». Il confie avoir été lui-même victime d’une agression : « Un coup de pied, à quinze minutes de la fin d’un match sans enjeu. »

Résultat : sept ans de suspension pour le coupable et un traumatisme encore vivace chez sa victime : « Psychologiquement, j’ai eu beaucoup de mal à reprendre le sifflet. Je me méfiais de tout. Dès qu’un arbitre se fait attaquer, je revois ma propre agression. »

Après la salle de classe, le terrain. Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) recevait Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dimanche 21 janvier, en Régional 2 (deuxième échelon régional parisien). Sous une pluie battante, Mehdi Bouguerra, président du club local, se réjouit de la bonne tenue d’un match entre deux prétendants à la montée. Les arbitres ? « Je les admire, moi, je ne pourrais pas. Trop violent. »

En 2017, le père d’un jeune joueur de Champigny est entré sur la pelouse, avant d’assener un coup à l’arbitre. « Ç’a été jusqu’à la préfecture, regrette Mehdi Bouguerra. On peut éduquer nos équipes, nos encadrants, mais pas les parents. Ce type d’acte, impossible à anticiper, nous fait passer pour un club de voyous. »

Le mauvais exemple des professionnels

Pas de père violent ce dimanche sur le synthétique du parc du Tremblay, les interpellations adressées à l’arbitre se limitant à quelques « T’es nul, rentre chez toi » et autre « Va t’acheter des lunettes ». Posté sur une petite butte, Telmo Ferreira, dissèque chaque intervention du préposé au sifflet. Observateur en arbitrage pour la ligue de Paris, il procède à la troisième et dernière évaluation annuelle d’Ahmed, qui préfère taire son nom.

« Les agressions sont bien plus présentes chez les jeunes qu’en séniors, constate Telmo Ferreira à la mi-temps. L’exemple vient d’en haut. Quand un joueur s’en prend à un arbitre durant un match télévisé, son geste rejaillit le week-end suivant en amateurs. »

Ne recensant que quelques « invectives » et « propos grossiers » au rayon des agressions subies en quinze ans d’arbitrage, Ahmed ne s’estime « jamais à l’abri du fait de jeu anodin qui peut tout faire péter ». « La première de nos qualités doit être le courage, reprend-il. L’environnement se révèle parfois très hostile. »

Un dirigeant de Champigny frappe à la porte du vestiaire réservé au trio arbitral pour lui faire signer la feuille de match. Avant de partir, il revient dans un sourire sur les agitations de fin de match.

« Désolé, m’sieur l’arbitre ! Vous savez comment c’est : dans le feu de l’action, on se chauffe. Mais c’est pas contre vous. Et puis on le sait : sans vous, pas de foot ! »