Dans la rue principale de l’île de Migneaux, la pompe à eau ne parvenait plus à endiguer l’inondation jeudi 25 janvier. / ÉLÉA POMMIERS / « LE MONDE »

En plein cœur de la rue principale, ils sont plusieurs, jeudi 25 janvier au matin, à regarder, résignés, les litres d’eau qui s’échappent de l’une des six pompes d’évacuation. Les habitants de l’île de Migneaux, à Poissy (Yvelines), savent que c’est là le signe que plus rien n’empêchera les eaux de la Seine d’envahir l’avenue qui serpente entre la centaine de maisons de cette frange de terre coincée entre deux bras du fleuve. « Elles nous ont permis d’évacuer un mètre d’eau et nous ont fait gagner cinq jours, mais maintenant la Seine est trop haute pour que le système fonctionne », explique Jean-Philippe Gaudin, directeur du centre technique municipal et habitant de l’île.

En quelques heures, la rue se transforme en cours d’eau, emprunté par de rares « îliens » équipés de bottes, voire de combinaisons. Sur les trottoirs, les barques remplacent les voitures. La scène devient presque habituelle à Poissy ; trop habituelle, à en croire certains.
« Ces dernières années, il y a une accélération. Avant 2016, on n’avait rien eu depuis quinze ans… Là ça fait beaucoup », déplore Jean-Philippe alors que la deuxième crue importante en moins de deux ans touche la ville.

Jeudi, alors que la montée des eaux s’accélérait, la certitude de ne vivre qu’une répétition de 2016 s’est peu à peu amenuisée. « Le nombre d’appels au numéro d’urgence a particulièrement augmenté aujourd’hui, les gens s’inquiètent de savoir jusqu’où l’eau va monter », expliquent les hôtesses chargées de leur répondre à la mairie.

Pour Arnaud Guérin, directeur hygiène et sécurité de la ville, l’accalmie prévue pour le week-end n’aura pas lieu :

« La Seine monte encore à Paris. Ils vont devoir évacuer tout ça, et c’est nous qui sommes en aval. La crue continuera jusqu’en début de semaine prochaine, et on devrait dépasser les niveaux de 2016. »

« Nous sommes bien entraînés »

Mais sur l’île de Migneaux, où les habitants ont connu une dizaine de crues en quarante ans, l’organisation est bien huilée. Sur cette île de trois cents habitants, zone la plus inondable de la ville, les caves ont été vidées et les riverains ont ouvert leur jardin afin de créer un chemin balisé accessible à tous sur le point le plus haut de l’île, où le fleuve envahit les jardins mais laisse encore les habitants circuler. « On est rodés », lance, souriant, Claude Boutineau, qui vit sur l’île depuis quarante-cinq ans.

L’eau de la Seine est montée dans les jardins des habitants de l’île de Migneaux, à quelques mètres des maisons. / ÉLÉA POMMIERS / « LE MONDE »

Rodées, les équipes de la mairie le sont également. Lors de la réunion de la cellule de crise, jeudi matin, le sang-froid et l’organisation étaient de mise. « Nous sommes bien entraînés », assure le maire, Karl Olive (Les Républicains), pour qui la crue de juin 2016 a « permis à Poissy d’établir des processus de gestion de crise particulièrement efficaces ».

L’installation du système de pompage d’eau (…) ne nécessite plus que huit heures

La police municipale relève le niveau de l’eau toutes les heures grâce à une échelle de crue propre à la ville. Sur l’île de Migneaux, l’installation du système de pompage d’eau, qui prenait encore trois jours il y a deux ans, ne nécessite désormais plus que huit heures.

Alors que le préfet ne l’exige que depuis vingt-quatre heures, la municipalité a déjà lancé depuis deux semaines le plan communal de sauvegarde, qui permet de coordonner les actions des acteurs communaux en cas de crise. Des tracts sont édités et distribués quotidiennement aux habitants concernés par le risque d’inondation pour les informer des solutions mises en place par la mairie.

Le plan d’évacuation a été lancé mardi. Un centre d’hébergement d’urgence de douze lits a été ouvert dans un gymnase de Poissy, et la mairie dispose si nécessaire de 1 500 places dans des bâtiments publics ; soit suffisamment pour accueillir tous les habitants potentiellement concernés. Mais le maire n’est pas inquiet. En 2016, seules deux personnes avaient quitté leurs maisons, et, mis à part une personne âgée, personne ne s’y est résolu pour l’heure. « Ils savent qu’ils vivent en zone inondable, cela ne leur fait pas peur », assure l’édile.

« En janvier, du jamais-vu »

Sur l’île, une résidente confirme : « Nos maisons sont surélevées, on ne craint rien dans les parties habitables. » Mais elle n’exclut pas pour autant de quitter son domicile :

« Nous partirons si on nous coupe l’électricité, on est quand même en plein mois de janvier ! »

En effet, si la crue actuelle surprend à Poissy, c’est par son caractère prématuré, qui rend d’autant moins prévisible le comportement du fleuve. Sur les berges de Seine, Olivier Grémillet, propriétaire d’un des principaux restaurants de la ville, L’Esturgeon, travaille au-dessus de l’eau depuis 1986. Résigné mais dépité, il désigne sa cave et sa salle de séminaire, inondées depuis deux jours. Il le sait déjà, comme en 2016, « tout est à refaire », et les pertes se chiffrent en dizaines de millier d’euros.

« Le problème, c’est qu’une crue au mois de janvier, je n’en ai jamais vu. J’espère que ça ne veut pas dire que l’eau va rester plus longtemps ou qu’on doit s’attendre à pire sur les mois de mars et avril », s’inquiète-t-il. Vendredi matin, à plus de vingtquatre heures du pic, l’eau était montée de 5,02 mètres à Poissy, à deux centimètres de son niveau d’il y a deux ans.