Devant l’entrée du bâtiment de l’Assurance maladie de Lille. / PHILIPPE HUGUEN / AFP

« La Sécu dévoile à des employeurs les motifs d’arrêt de travail de leurs salariés », titrait L’Express le 24 janvier. Une expérimentation menée par l’Assurance-maladie pour renforcer la prévention des risques professionnels en entreprise a en effet été lancée en novembre 2017, qui consiste à transmettre aux entreprises au très fort taux d’absentéisme des informations sur la nature des arrêts maladie, dans un contexte où des écarts importants de taux d’absentéisme sont constatés entre des entreprises d’un même secteur. Ce qui ne manque pas d’interroger sur le respect du secret médical et de la protection des données personnelles des salariés. Le motif d’un arrêt de travail ne doit pas en effet être divulgué à son employeur.

Les médecins ont vivement réagi : « Inadmissible , inapplicable... Pensez-vous que les patients acceptent des AT [arrêt de travail] si l’employeur est au courant d’un motif psy pour un arrêt ? C’est toujours stigmatisant , nous courons à la catastrophe », a twitté le docteur Goltman, psychiatre. « Le plus grave est qu’il y ait un décret qui permette à l’Assurance maladie de se passer de l’autorisation de la CNIL [Commission nationale de l’informatique et des libertés] », déclare le président de la Fédération des médecins de France Jean-Paul Hamon.

Vendredi 26 janvier, le Conseil national de l’ordre des médecins, interpellé, s’est exprimé plus prudemment par la voix de son vice-président Jacques Lucas : « Nous allons d’abord nous informer précisément et nous agirons ensuite le cas échéant, s’il existe un risque d’identification d’un salarié en particulier. Ce qui ne semble pas être le cas à la lecture intégrale de l’article. »

Pas de communication des motifs d’arrêts

La branche Risques professionnels de l’Assurance-maladie a formellement démenti la communication des motifs des arrêts de travail aux entreprises. « Tout simplement parce que nous n’avons pas ces données. Nous avons les motifs d’arrêt que lorsque les assurés sont contrôlés. C’est une toute petite proportion, nous ne les utilisons donc pas pour notre expérimentation », indique Marine Jeantet, directrice de la branche.

Elle en explique le mode opératoire : l’expérimentation consiste à rencontrer les entreprises pour leur parler de leur niveau d’absentéisme dans le but de les inciter à mettre en œuvre des actions de prévention. « Cinq entreprises de 350 salariés en moyenne ont été choisies dans des secteurs et des régions différentes, avec des profils d’absentéisme différents, dit-elle. Sur la base des consommations médicales (médicaments, actes traceurs, radios, etc..), on a essayé de reconstituer les causes d’arrêt de travail de leurs salariés en trois catégories : les lombalgies, les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les risques psycho-sociaux (RPS), car ce sont des facteurs qui peuvent être d’origine professionnelle. »

Les données transmises aux entreprises sont le nombre de jours d’arrêt de travail par catégorie, ce qui en principe ne permet pas d’identifier le salarié. « On leur donne un graphique indiquant le pourcentage d’arrêts de travail liés aux lombalgies, celui lié aux TMS et le taux de RPS. Ce qui est intéressant pour les entreprises, c’est la comparaison avec les moyennes régionales et nationales du secteur », remarque-t-elle.

Sur Twitter, le médecin généraliste Jean-Jacques Fraslin s’interrogeait toutefois sur la « réidentification [du salarié] possible sur un effectif aussi faible que 200 salariés. Un bon DRH doit être capable de cela ». « Même sur 350 salariés, on voit très bien ceux qui sont déprimés. Dans les entreprises qui malmènent leurs salariés, les conséquences peuvent être extrêmement graves, renchérit Jean-Paul Hamon, ils peuvent en profiter pour les virer ».

Marine Jeantet affirme le contraire : « Nous sommes dans une logique d’accompagnement. Les catégories sont très génériques et avec des volumes de 14 000 jours d’arrêt de travail par entreprise, comment voulez-vous faire le lien avec un salarié ? Nous ne voulons pas faire prendre de risques aux salariés, l’objectif est la prévention ».

Tandis que l’Assurance-maladie prévoit d’étendre l’expérimentation à davantage d’entreprises dès 2018, l’inquiétude grandit du côté des médecins.