« Tsara be ! » C’est l’exclamation qui revient le plus souvent dans la bouche des spectateurs qui sortent de la première séance du Plaza d’Antananarivo ce dimanche matin. En malgache, ces mots signifient à la fois « beau », « génial », et « très bien ». Selon l’avis de tous, le nouveau cinéma de la capitale malgache, ouvert en décembre 2017, est tout cela à la fois. Le public est juvénile, le film Big foot junior vient d’être projeté en 3D. Pour beaucoup, c’est leur toute première expérience du grand écran.

Nancy, 6 ans, dévore son pop-corn avec sa mère sur le perron, des traînées de larmes séchées sur ses joues. « Elle a eu peur, confie Mina, sa mère, on a dû sortir un peu avant la fin. Mais on reviendra ! » Sa petite sœur, elle, sautille partout. Il y a aussi des ados hilares qui se prennent en selfie dans le hall d’entrée en attendant la projection de Blade Runner 20149 l’après-midi. Un peu plus loin, Hery est assis sur les marches avec ses deux fillettes. « Je me souviens des vieux cinémas quand j’étais jeune, mais là, ça n’a rien à voir ! » Ses enfants le « tannent depuis une semaine, juste pour venir voir ».

Matériel de projection à la pointe

Dans ce large bâtiment bleu azur, tout est fait pour attirer le regard. Son esthétique d’abord, largement empruntée à l’univers de Hollywood. Qu’il s’agisse des luminaires rutilants à outrance, des écrans animés, des portes battantes de style saloon ou des sièges en velours rouge, le Plaza veut offrir un « standing » à l’américaine ses spectateurs. C’est son fondateur, Andry Raboelina, qui l’a voulu ainsi : « J’avais vu ces chariots de pop-corn à Disneyland, j’ai voulu reproduire la même chose ! »

La capacité de son unique salle ensuite, qui n’a rien à envier aux cinémas occidentaux et peut accueillir 800 personnes. Enfin, un matériel numérique à la pointe avec un écran géant et une sonorisation qui permettent une qualité de projection immersive en 3D.

Un « standing » qui a un coût et exige de 10 000 ariarys la place (2,50 euros) à 30 000 ariarys selon les séances. Un loisir que seule une petite frange de la population peut s’offrir.

Andry Raboelina est un patron de télé, mais aussi un cinéphile. « Je me souviens des films que j’allais voir avec l’école. Tous les mercredis après-midi dans un petit cinéma. » Il a commencé à diffuser des films dans les années 1990, dans des amphithéâtres. « Le premier, c’était en 1998 : Titanic. Ce fut un engouement terrible ! L’entrée à l’époque était à 5 000 francs. J’ai mis cinq heures à compter l’argent de toutes les entrées », s’amuse-t-il. Lui-même a vu le film de James Cameron plus d’une dizaine de fois depuis.

Propagande russe

Juste après l’indépendance en 1960, le cinéma était très prisé à Madagascar. La Grande Ile comptait une centaine de salles de projection, dont une dizaine dans la capitale. Elles étaient gérées par l’Etat. « Mais sous la présidence de Didier Ratsiraka [1997-2002], l’Etat a cessé de s’occuper de la programmation, explique Laz, réalisateur et directeur des Rencontres internationales du film court de Madagascar. Ils ont préféré acheter des films de propagande russe qui étaient diffusés à la télé. Les gens n’allaient plus voir de films… parce qu’il n’y avait plus de films à voir ! »

Résultat, au début des années 2000, toutes les salles de l’île avaient fermé. Le Plaza est ainsi le premier cinéma aux normes internationales à s’implanter à Madagascar. Pour l’instant, il ouvre le week-end, et a fermé deux semaines pour quelques ajustements techniques. « On apprend encore à gérer le fonctionnement de la machine », admet Andry Raboelina. Le programme, en revanche, est fixé. Les samedis et les mercredis seront dédiés aux scolaires, et des négociations sont en cours pour avoir « les mêmes blockbusters qu’en Europe ».

On ne connaîtra pas la somme investie pour créer le Plaza, seulement que « les crédits courent sur vingt ans et qu’il va falloir commencer à rembourser ». Le prochain gros coup selon son patron : la diffusion de Cinquante Nuances plus claires, le troisième volet de la saga Cinquante Nuances de Grey, pour la Saint-Valentin. « Ça devrait attirer les foules », conclut-il, goguenard.