Ce sont trois salles de classe en bambou, poussiéreuses et cramées par le soleil pendant la saison sèche, battues par des pluies diluviennes le reste de l’année. Elles abritent un centre d’éducation supérieure et ne dépareillent pas d’avec les autres structures érigées alentour : nous sommes sur un site de protection des civils de l’ONU, le PoC3, en lisière de Juba, la capitale du Soudan du Sud. Pas de bâtiment en dur dans ce camp où vivent, si l’on additionne la population du camp voisin, le PoC1, près de 40 000 personnes. Ici, on s’est habitué à vivre dans du temporaire… à long terme.

Présentation de notre série : La classe africaine

« Nous sommes en exil dans notre propre pays », lâche, dépité, Wiyual Wuor Maluel, un diplômé en communication de l’Université de Juba. A l’instar des autres étudiants, son cursus universitaire s’est brutalement interrompu quand les combats ont éclaté, le 15 décembre 2013, entre les forces loyales au président Salva Kiir, issu du peuple dinka, et celles de l’ancien vice-président Riek Machar, nuer. Il s’est réfugié au camp de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss), comme les milliers de Nuer de Juba, dans les heures qui ont suivi le début des violences. Quatre ans plus tard, quasiment jour pour jour, il y vit toujours. « On ne fait que galérer », résume-t-il entre deux gorgées de thé, assis dans les vapeurs de chicha de l’un des cafés rudimentaires du site. « Depuis la crise, et jusqu’à maintenant, on n’a nulle part où aller. » Wiyual a pourtant réussi à obtenir sa licence à l’Université de Juba en 2017, malgré la guerre et la peur de sortir de cette zone sécurisée.

Infographie "Le Monde"

Apprentissage à distance

Wiyual fait partie des étudiants déplacés par le conflit qui ont suivi des cours au sein du centre d’éducation supérieure du PoC3, établi en août 2014. A l’origine du projet, Julia Aker, vice-chancelière de la John Garang Memorial University de Bor, l’une des cinq universités publiques du Soudan du Sud, et fondatrice de l’ONG Gender Equity and Women Leadership Programme (GEWLP). Elle se souvient qu’« après le début de la crise, tous les étudiants nuer ont soudainement abandonné l’université ». Pour tâcher de les faire raccrocher, elle a conçu un programme pour les étudiants résidant sous protection onusienne. « On a essayé de faciliter leur transport du PoC vers l’Université de Juba pour qu’ils puissent suivre les cours, mais ça s’est avéré trop dangereux. Alors on a mis en place un système d’apprentissage à distance, et l’on a obtenu de l’université qu’elle autorise des professeurs à aller enseigner là-bas. »

Depuis 2015, l’agence américaine de développement USAID soutient le programme, ce qui a permis l’achat d’équipements de base – tables, chaises, armoires –, de livres et d’ordinateurs alimentés par des panneaux solaires et connectés à Internet. Entre 2015 et 2017, ce sont quelque 1 500 étudiants, dont 139 femmes, qui ont suivi les cours du centre : des cours d’informatique, d’anglais, de littérature, d’études des cultures et du patrimoine sud-soudanais.

Si l’objectif premier de ce projet est de permettre une réintégration des étudiants du PoC dans le système universitaire traditionnel, il comporte un aspect important de soutien psycho-social, « une façon d’impliquer les jeunes dans des choses positives », explique Julia Aker, « et aussi de comprendre à travers les livres que ce qui leur est arrivé est déjà arrivé ailleurs, pas qu’au Soudan du Sud ».

Professeur de littérature à l’Université de Juba, Salomon Tokwaro a enseigné deux fois par semaine dans ce centre de 2015 à 2017. « Il y a eu un grand changement, se souvient-il. Au départ, les étudiants étaient tristes, traumatisés, parfois ils se mettaient à pleurer en classe. Mais à travers les activités que nous avons mises en place, le récit, l’écriture, les discussions de groupe, ils ont commencé à oublier les problèmes qu’ils ont à l’extérieur : ce qu’ils vont manger, quand ils vont pouvoir rentrer chez eux… tout ce qui les angoisse. »

« Nous sommes universels »

Après avoir complété un cycle au sein du centre d’éducation supérieure du camp, les étudiants obtiennent un certificat grâce auquel certains ont pu attester, par exemple, de leurs compétences en informatique, et trouver ainsi un emploi. Mais ces certificats ne permettent pas d’établir d’équivalence avec les cursus des universités du Soudan du Sud. Pour les étudiants du PoC3, l’objectif reste donc de reprendre un cursus normal pour obtenir un diplôme valable sur le marché du travail.

Gatthak Bol Yang, étudiant nuer, fait régulièrement, comme Wiyual, trois heures de marche pour suivre ses cours de science environnementale à l’Université de Juba. « Je suis le premier étudiant à être sorti de la Minuss pour retourner à la faculté en mars 2014 », raconte-t-il fièrement, assis à l’entrée de son abri couvert d’une bâche blanche. Sur le campus, il retrouve alors ses condisciples dinka, avec qui il reprend ses habitudes d’avant cette guerre qui a attisé les tensions entre communautés. Ils « mangent et boivent ensemble », se retrouvent tous les jours. « C’est normal, tient-il à préciser, car, en tant qu’étudiants, nous sommes universels : nous ne pouvons pas être pour un seul groupe, nous sommes pour tout le monde. » Pour Gatthak, rester sous la protection des casques bleus et s’efforcer d’étudier est la meilleure chose à faire pour l’instant. « Plutôt que de se battre, il faut tout faire pour continuer notre éducation », conclut-il avec conviction.

Des cours destinés aux étudiants en rupture de cursus depuis la guerre civile au sein du camp onusien Poc3, en décembre 2017. / Florence Miettaux

Le centre d’éducation supérieure du PoC3 est en vacances depuis fin décembre 2017. Mais la salle de lecture ne désemplit pas, la bibliothèque et les ordinateurs sont constamment consultés par les étudiants du camp. Un véritable havre de paix dans le contexte d’une guerre civile qui semble ne pas vouloir finir.

Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Juba In The Making avec le soutien du Centre européen du journalisme.

Sommaire de notre série La classe africaine

Présentation de notre série : La classe africaine

De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.