De gauche à droite : Christine Lagarde, directrice générale du FMI, Ema Solberg, première ministre norvégienne, Ginni Rometty, PDG d’IBM, Chetna Sinha, fondatrice de la banque coopérative rurale Mann Deshi Bank en Inde, Fabiola Gianotti, physicienne et directrice générale du CERN, Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération internationale des syndicats, et Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie. | FABRICE COFFRINI / AFP

Rendez-vous annuel des élites mondiales depuis 48 ans, le Forum économique mondial (WEF) de Davos est, inévitablement, une assemblée très masculine même si, au fil des ans, la visibilité d’une chancelière allemande, d’une directrice générale du FMI ou d’une PDG de multinationale a pu être mise en avant. La participation des femmes a laborieusement progressé jusqu’à 21 % cette année et le panel exclusivement masculin est désormais quasiment interdit ; le Forum produit chaque année, depuis 2006, un rapport très solide sur l’évolution des inégalités entre les sexes dans le monde. Mais de toute évidence, un saut qualitatif, en plus de la lente amélioration quantitative, restait à accomplir.

#MeToo a-t-il changé tout cela ? Le mouvement lancé en octobre aux Etats-Unis par l’affaire Weinstein a en tout cas contribué à faire évoluer les esprits à Davos aussi. Première mesure, décidée avant même le déclenchement du scandale planétaire du harcèlement sexuel : pour la première fois, les organisateurs du WEF ont confié la co-présidence du Forum 2018 à des femmes – sept femmes, plus exactement : Christine Lagarde, directrice générale du FMI, Ema Solberg, première ministre norvégienne, Fabiola Gianotti, physicienne et directrice générale du CERN, Chetna Sinha, fondatrice de la banque coopérative rurale Mann Deshi Bank en Inde, Ginni Rometty, PDG d’IBM, Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération internationale des syndicats, et Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie.

Emergence de nouveaux thèmes

« Enfin un panel qui n’est pas un manel’ », a lancé Mme Lagarde en présentant ses six co-présidentes en séance plénière, mardi 23 janvier. L’effet visuel des couleurs vives qui rompent avec l’uniforme costume-cravate était incontestable, mais le contenu des échanges a également marqué la différence. La discussion n’a pas porté sur les femmes, mais sur les projets et les aspirations des unes et des autres dans leurs institutions respectives. Les thèmes de la confiance, de la responsabilité, des dégâts causés par la montée des inégalités, de la nécessité de promouvoir l’engagement dans la recherche scientifique dominaient les aspirations des co-présidentes.

Autre changement : la question du harcèlement sexuel, l’ampleur du phénomène dans le monde du travail et les moyens de le combattre ont fait l’objet de plusieurs panels. C’est, là aussi, une première. On a pu ainsi écouter une responsable de Microsoft, Peggy Johnson, expliquer comment elle avait découvert que 60 millions de salariés, aux Etats-Unis – y compris « un petit nombre » à Microsoft – avaient dans leur contrat de travail une clause les obligeant à soumettre toute plainte pour harcèlement sexuel à une procédure d’arbitrage privé, le plus souvent accompagnée d’accords de confidentialité, et non devant les tribunaux. On a pu aussi y entendre un universitaire de Berkeley, le psychologue Dake Keltner, décrire le mouvement #MeToo comme une « révolution » comparable au rapport Kinsey sur la sexualité il y a soixante ans, et la directrice de l’ONG Oxfam, l’Ougandaise Winnie Byanyima, remercier les femmes américaines pour avoir lancé ce soulèvement mondial.

L’égalité entre les sexes au cœur de plusieurs discours

Certains dirigeants politiques ont aussi choisi d’afficher le thème de l’égalité hommes-femmes en bonne place dans leur discours, ainsi que le coup économique et social de la discrimination. Le champion toutes catégories en la matière est, sans surprise, le premier ministre canadien Justin Trudeau, qui a appelé à « un changement fondamental dans la culture de l’entreprise » pour « embaucher, promouvoir et maintenir les femmes  » à des postes de responsabilité. M. Trudeau, dont le pays préside le G7 cette année, s’est engagé à placer le thème de l’égalité des sexes au centre de l’agenda de ses réunions et a nommé co-présidentes du G7 Melinda Gates, co-fondatrice de la fondation Bill & Melinda Gates, et Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France. Plusieurs dirigeants européens, dont Mme Merkel et M. Macron, ont aussi évoqué le sujet dans leur discours. Deux leaders, en revanche, ne s’en sont pas embarrassés : le premier ministre indien Narendra Modi et le président américain Donald Trump.

Les participantes au WEF sont pour la plupart des femmes en position de pouvoir. Cette édition Davos 2018 a montré que, loin de la vulnérabilité des salariées en bas de l’échelle, elles ne sont pas pour autant à l’abri du sexisme ni, notamment, du « mansplaining », cette façon qu’ont les hommes de s’adresser aux femmes qui, forcément, en savent moins qu’eux. La première ministre norvégienne, Erna Solberg, a ainsi raconté comment un PDG avait commencé à lui expliquer, « comme à une enfant », le mécanisme des taux d’intérêt en pleine réunion de la commission des finances au Parlement. Il a fini par être interrompu par un membre de la Commission : « Erna est la plus diplômée d’entre nous en économie », lui a-t-il signalé. Dans un entretien au Monde, Christine Lagarde a raconté comment, « encore à ce jour », elle surprenait ce « regard biaisé » ou ce « petit sourire condescendant » que les hommes ont pour les femmes dont ils doutent des compétences.

Preuve qu’il y a encore des progrès à faire, une journaliste économique du Daily Telegraph, Anna Isaac, a raconté sur Twitter samedi comment, dans le train, son voisin s’est étonné qu’une « jeune femme comme elle » lise les pages économiques du Telegraph et du Financial Times puis a entrepris de lui expliquer Davos, la BCE (Banque centrale européenne) et le CBI (Confederation of British Industry, le patronat britannique)...